Il est prof, divorcé, fatigué, se dit « affadi ». Il a 58 ans, des filles adultes, des soirées solitaires. Il n’aime ni le sport, ni les clubs de machin-chose, ni les réunions.
Il s’appelle Louis Claret et n’a aucune envie de se rendre à ce vernissage auquel il a été invité, mais son appart’ est mal chauffé et il espère se bourrer de petits fours. Au moins, il aura mangé.
C’est l’expo de peinture d’un ancien élève, Alexandre Laudin, un gars timide dont il n’a que très peu de souvenirs. Dire qu’il aime ses tableaux est un bien grand mot. Il s’oriente discrètement vers la sortie quand le peintre s’approche de lui.
« J’avais échangé quelques phrases avec une célébrité. Je m’apprêtais à me nourrir aux frais d’une équipe municipale pour laquelle je ne votais pas. Faste soirée. »
Louis Claret est un mec sans illusions.
« Je suis le maître d’un monde flottant. Je me laisse dériver et advienne que pourra. J’ai cherché à profiter du jour présent pendant des décennies sans jamais y parvenir, et j’y suis arrivé par inadvertance, une fois la cinquantaine passée. Je vis dans une atonie ironique. Mes collègues me trouvent en général sympathique et jovial. Les plus jeunes se moquent mais avouent à demi-mot qu’ils aimeraient bien tenir la forme que j’ai quand ils auront mon âge. Le seul ennui, au fond, c’est que rien, jamais, ne me touche plus. »
Quelque temps plus tard, un coup de fil. C’est Laudin. Il veut revoir Claret, son ancien prof. « Demain ? » Ok pour demain, répond Claret un peu surpris et un brin embêté, pour être poli. Qu’est-ce qu’il veut le Laudin, qu’est ce qu’ils pourront bien se raconter ?
Claret retrouve son élève dans un loft un peu froid. Laudin lui montre un tableau : ses parents. « -C’est terrible » constate Claret.
Soudain il devine : « Vous voulez faire mon portrait ? »
C’est ça, il veut faire le portrait de son ancien prof. Il le prévient tout de suite : il ne travaille pas sur photo : Claret va devoir rester un certain temps immobile. Ils pourront discuter, ce n’est pas gênant.
« Je sais que je vais dire oui. » pense Claret.
Et c’est ce qu’il fait.
« La litanie des surprises que l’existence nous réserve. Je n’avais pas prévu de rester ancré dans cette ville de province. Ni de devenir un des dinosaures de l’établissement où j’enseigne. Ni d’avoir des filles. Ni qu’elles vieillissent. Ni qu’elles s’en aillent. Ni de divorcer. Et encore moins de me retrouver accoudé au balcon de la chambre d’un ancien élève, clope au bec, frissonnant dans cette mi-novembre grise. »
Parfois, dans la vie, on est amené à vivre des situations étranges, incongrues, ridicules même. On se demande ce qu’on est allé faire dans cette galère. Et puis, finalement, l’expérience se révèle plutôt étonnante, on découvre que celui qu’on prenait pour un abruti est finalement assez drôle et plutôt sympa. On n’est pas trop mal avec lui. Le temps passe plus vite. Il nous a fait dévier de notre train-train, nous a poussés vers des lieux où l’on n’aurait jamais mis les pieds. Et nous nous découvrons nous-mêmes différents de ce que nous pensions. Il suffit finalement que notre trajectoire soit légèrement déviée pour que notre perspective sur le monde change.
C’est ce que va vivre Louis Claret et j’ai beaucoup aimé la façon dont, petit à petit, il va comprendre des choses qu’il n’avait pas forcément bien perçues jusqu’à présent et prendre conscience de ce qui est essentiel dans une vie…
J’ai A-DO-RÉ ce roman : son personnage principal (bon, c’est vrai, on a pas mal de points communs…), ses considérations sur les gens, la vie, le temps qui passe, la façon dont on glisse doucement vers quelque chose de plus profond, de plus grave, pour toucher l’émotion pure. J’ai été très émue par ce texte et en même temps, j’ai beaucoup souri car certaines répliques ou situations sont franchement très drôles.
Un très bon moment de lecture donc qui nous laisse, il est vrai, un brin nostalgiques…
C’est pas beau d’vieillir !
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