Voici un livre qui m’a beaucoup plu et que je vous recommande vivement : Le disparu de Jean-Pierre Le Dantec.
Le roman s’ouvre sur une rencontre à bord d’un TGV : celle de deux anciens camarades de pensionnat : François Contellec et Pierre-Alain Jézéquel. S’ils se retrouvent avec plaisir, ils n’ont pas oublié qu’ils ont été rivaux sur le plan sentimental et surtout qu’ils ne partageaient pas les mêmes points de vue politiques à une époque où les événements algériens créent des tensions et des fractures dans la population française.
Au cours de leur conversation, ils en viennent à évoquer un bon souvenir : celui de leur professeur de français, Loïc Quéméner, un jeune homme qu’ils adoraient et qui avait été capable de leur transmettre sa passion de la littérature en leur proposant de jouer Le Bourgeois gentilhomme.
Hélas, Quéméner avait été appelé sous les drapeaux et, la mort dans l’âme, avait dû abandonner sa classe et ses élèves pour se rendre en Algérie. Avant de partir, il avait proposé à ses élèves de mettre en place une correspondance, ainsi pourrait-il leur donner des nouvelles…
Je ne vous en dis pas plus… mais sachez tout de même que vous allez vous régaler à la lecture de ce roman… Tout d’abord, l’écriture est délicieuse : ah, les lettres de Quéméner… quel style, quelle élégance… les mots vous portent, vous éprouvez de façon saisissante tout ce qu’a pu vivre ce jeune homme généreux, sensible, plein d’humanisme, tout frais débarqué en Algérie, vous partagez ses impressions, ses réserves, ses révoltes, vous ressentez pleinement toute la misère qu’il découvre de la caserne de Cherchell à la SAS (Section Administrative Spécialisée) de Aït Hichem, la haine, l’esprit de vengeance et bien pire encore…
Rien que pour ces lettres qui m’ont paru tellement vraies que je me suis demandé si elles existaient vraiment, ce roman vaut d’être lu ! Elles nous proposent un autre point de vue sur l’Algérie et dévoilent une réalité bien complexe s’il en est !
Mais Le disparu est aussi un roman d’apprentissage : en effet, nous rencontrons des adolescents dans leur pensionnat breton, le lycée Auguste-Pavie de Guingamp dans les années 50, une grande bâtisse mal chauffée, des règles strictes et des grappes de garçons pleins d’enthousiasme, fous de sport, découvrant les filles, la sexualité, le rock’n roll, le jazz, le cha-cha-cha et commençant à s’interroger sur leur premier conflit contemporain.
C’est le passage à l’âge adulte, une espèce de basculement pas toujours facile à vivre car tout est à construire. On sent toutes les tensions que la situation algérienne provoque chez des adolescents encore naïfs et largement influencés par leurs parents ou par un frère parti là-bas, jeunes adultes dont la conscience politique émerge petit à petit et qui apprennent à se construire à travers les échos lointains de ce qui se passe en Algérie… Douloureux et passionnant éveil politique…
C’est vraiment toute une époque qui est évoquée ici, une période où beaucoup s’interrogeaient sur cette guerre qu’ils osaient à peine nommer… Difficile pour des adolescents d’affirmer leurs convictions et leurs doutes…
Et puis, lorsque les grandes vacances arrivent, les garçons s’égaillent dans la nature, une nature bretonne décrite merveilleusement par Jean-Pierre Le Dantec : ce sont des tableaux qui prennent forme sous nos yeux. Ajoncs et genêts agités par le gwalarn (vent de noroît), mer en furie aux teintes gris cendre, délicieuses baignades sous le soleil, pêche à pied dans les crevasses rocheuses…
Un livre fait de contrastes saisissants : tandis que les uns profitent de leur jeunesse et du bonheur de vivre, d’autres, ailleurs, perdus dans un conflit qui les dépasse, combattent et meurent.
Au risque de me répéter, ce roman m’a procuré un vif plaisir de lecture et je ne suis pas près d’oublier le portrait fascinant de Quéméner, le jeune professeur sensible, témoignant à travers ses lettres de toute la complexité d’une situation politique trouble dans laquelle, sans y être préparé, il fut plongé malgré lui.
Un très beau texte, à lire absolument !
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