Puissant, digne, attentionné Taqawan d’Eric Plamondon est indispensable. On pénètre dans ce roman vaste, vivifiant en plongée naturaliste dans un Québec dont les plus subtils contours sont des majuscules palpitantes et majeures. L’idiosyncrasie de l’amérindianité relève ce roman en kaléiodoscope sociologique, culturel, philosophique. Les sciences humaines sont en filigrane. La fiction devient intime, une rencontre avec des êtres qui osent. L’habitus est décrit avec une telle souplesse, en mailles ciselées, que le lecteur ne lit plus. Il est le roman. On prend à pleins bras, ces étendues paysagères, ce Québec de 1981, on glisse vers ses hôtes qui foudroient les lignes à l’instar des destructions des indiens mig’mag. Les couleurs changent. Les nuances affirment le majeur de Taqawan. Ici on apprend, ressent, s’éveille, frémit, aime. On s’élève en symbiose du saumon par lequel la destinée Amérindienne est soumise, symbole de luttes et de renaissance. Plus que tout ce roman est sublime. Aérien, solaire, gracieux par ce style appuyé, fin et donnant. Le lecteur change de regard selon le chapitre qui n’est jamais trop chargé, dans ce juste affirmé. La clarté mentale de Taqawan est une prouesse. Mature, il sait. L’auteur est ce Québec, son souffle, ses souffrances, ce peuple d’indiens qui prouve que leur bravoure résistante est un modèle en construction. Le summum est ici, la vie aussi. On sait avoir lu du grand. Le lecteur est fier de sa lecture, couronné par ce roman hors pair, atypique, mémoriel, donnant. Publié par Quitam Editeur ce roman est culte.
Découverte pour moi de cet auteur québécois vivant depuis plusieurs années en France.
Découverte aussi grâce à ce livre, qui n’est pas à proprement parler un roman, des tensions, des dissenssions entre l’état canadien et les tribus autochtones, notamment les Indiens Miq’maq.
Taqawan est le terme par lequel on désigne le saumon adulte qui remonte la rivière qui l’a vu naître pour venir s’y reproduire. Le saumon a toujours permis aux Amérindiens de survivre mais ce poisson est aussi devenu un enjeu économique.
En 1981, le 11 juin précisément, trois cent policiers de la sûreté du Québec envahissent la réserve des Indiens Miq’maq pour leur confisquer leurs filets de pêche aux saumons. Ce sera une journée terrible de violences, avec de nombreux blessés du côté des autochtones.
Cet évènement est le prétexte choisi par l’auteur pour nous faire découvrir les relations plus que tendues entre les Québécois et les Amérindiens encore actuellement. Le problème de l’intégration forcée à coup de triques et autres tortures physiques et mentales infligées aux enfants dans des internats dans les années 1960.
Le problème des réserves, du scandale de morceaux de forêts vendues à des consortiums américains pour y installer de luxueux camps de pêche aux saumons pour fortunés américains…
Dans un pays où tous les habitants descendent de migrants, y compris les Amérindiens puisque des recherches génétiques prouvent maintenant la filiation entre eux et les peuples d’Asie, revendiquer la terre comme sienne et l’exploiter au détriment de l’autre est une aberration.
Je citerai le très beau paragraphe de l’auteur sur la terre natale : « C’est un drôle de concept, la terre natale. Ce sont des drôles de concepts, le territoire, la culture, la langue, la famille. Comment ça fonctionne dans la tête des humains ? Ils sont les enfants de leurs parents. Ils naissent au sein d’une communauté à un moment précis quelque part. Mais d’où vient cette incroyable force collective qui mène le monde depuis toujours : défendre son territoire, son identité, sa langue ? D’où vient cette nécessité, comme innée, depuis le fond des âges, qui veut que l’espèce humaine se batte et s’entretue au nom d’un lieu, d’une famille, d’une différence irréductible ? Pourquoi mourir pour tout ça ? «
J’avais entendu parler de ce roman lors d’une émission à la radio.
J’avais pris note de la référence, l’histoire des amérindiens est un sujet qui a toujours retenu mon attention.
Je suis ravie en refermant ce livre et à plusieurs tires.
Le contexte dans lequel se situe l’histoire est très bien documenté et décrit : que ce soit les incidents de Restigouche, l’histoire du Quebec, les références concernant la pêche, les repères linguistiques.
L’intrigue est rondement menée.
Les 4 personnages principaux sont parfaitement campés et représentent des archétypes.
La forme de l’écrit est particulière : de tout petits chapitres construisent un puzzle, un kaléidoscope, on entre dans le récit de différentes manières : c’est tantôt un personnage qui s’exprime, parfois une référence historique, de temps à autre des notions d’histoire naturelle ou de linguistique, le tout est extrêmement bien ficelé pour constituer un récit coup de poing qui m’a fait perdre haleine et m’a coûté quelques nuits blanches.
Kwe’ !
Envie de sortir des sentiers battus ? Pas d’hésitation, je vous emmène à la rencontre des Indiens mi’gmaq, réserve de Restigouche (Listuguj), Québec. Et ce roman va vous en apprendre des choses !
D’abord, sachez qu’« en langue mi’gmaq, on nomme taqawan un saumon qui revient dans sa rivière natale pour la première fois » et en juillet, les mi’gmaq pêchent beaucoup de taqawan.
Bon, vous connaissez deux mots : « mi’gmaq » et « taqawan », c’est un bon début ! Encore un ? Oh, vous êtes doué en langues ! Voici « toboggan » qui signifie luge en mi’gmaq. Ajoutez maintenant « miskwessabo » (vous pouvez vous le permettre vu votre aisance) et vous connaîtrez le nom de la soupe aux huîtres (pas d’inquiétude, page 104, l’auteur vous en fournit la recette pour dix personnes – ah, vous êtes cinq ? Divisez par deux!) Quand je vous sentirai plus à l’aise, nous aborderons la phrase : proverbe mi’gmaq : « Mutt sangewite’lm’g moqwa’ wen gesatgit nmu’j negmewei. » Quoi, vous avez reconnu du breton ? Faut arrêter le chouchen. Pas de traduction, ce n’est pas dans l’air du temps quand on apprend une langue ! Vous comprendrez quand vous parlerez mi’gmaq, vous y êtes presque ! (Autrement la traduction se trouve page 189!)
Bon, maintenant un peu d’histoire : « Dans les livres d’histoire anglais, il est écrit quelque part que John Cabot ramena trois Mi’gmaq en Angleterre en 1497. Dans les livres du Québec, le premier contact d’un Européen avec les Mi’gmaq date de 1534. »
Quelques bribes de géo… écoutez bien, après, interro !
« On sait que les Mi’gmaq sont des nomades arrivés en Amérique par le détroit de Béring, depuis le cap Dejnev jusqu’en Alaska. »
Étude de mœurs : ils pêchent le saumon. Depuis toujours.
Des faits : le 11 juin 1981 : le ministère québécois du Loisir, de la Chasse et de la Pêche a envoyé trois cents policiers de la Sûreté du Québec en Gaspésie sur la réserve de Restigouche (Lestuguj) pour contraindre les Mi’gmaq à restreindre de façon drastique leur quota de pêche. Rien ne s’est fait en douceur, vous l’imaginez bien, et les filets ont été saisis dans la violence. Précisons que les Mi’gmaq pêchaient six tonnes de saumons par an, les pêcheurs sportifs de l’est du Canada huit cents tonnes et les bateaux-usines trois mille tonnes sans que ces derniers soient inquiétés.) Y aurait-il eu un motif politique derrière tout ça ? Un conflit entre le Québec et le Canada ? P’têt’ bien !
« Au Québec, on a tous du sang indien, dit un vieil homme, si ce n’est pas dans les veines, c’est sur les mains. » Il nous faudrait aborder maintenant l’aspect philosophique du problème : « Il faut se méfier des mots. Ils commencent parfois par désigner et finissent par définir. Celui qu’on traite de bâtard toute sa vie pour lui signifier sa différence ne voit pas le monde du même œil que celui qui a connu son père. Quel monde pour un peuple qu’on traite de sauvages durant quatre siècles ? » Vous avez quatre heures.
Allez, je n’en dis pas plus et vous laisse découvrir ces soixante-sept courts chapitres très rythmés et passionnants qui mêlent pour notre plus grand plaisir une foultitude d’infos et de réflexions sur … les Mi’gmaq (langue, histoire passée et présente, mythologie, mœurs, langues, croyances…), les conséquences tragiques de tout acte de colonisation, le saumon évidemment évoqué aussi bien en termes scientifiques que poétiques, le sirop d’érable (humm), le caviar (pas mal non plus), l’orignal (jamais goûté), la mouche sèche (jamais goûté non plus), Céline Dion (je ne savais pas où la placer dans ma liste – après les saumons, ça n’était pas terrible…) (je n’en ai pas goûté non plus, il va sans dire), le Chieftain 1976… le tout agrémenté d’un vrai roman policier avec quatre personnages de fiction : une indienne violée, un garde-chasse qui a démissionné, un indien qui a quitté la réserve et vit seul depuis des années, une jeune instit’ française.
Mélangez le tout et vous aurez un livre divertissant, passionnant, engagé comme on les aime, plein de suspense et qui se lit d’une traite !
Et en plus, la couverture est belle !
Nmu’ltes app !