illustration Brigitte Lannaud Levy
Il n’y a pas qu’une librairie dans le giron de Gallimard, mais c’est bien la seule et unique à porter son si prestigieux nom. Voici un lieu presque centenaire, créé plus exactement en 1919 par Gaston Gallimard lui-même. Situé à quelques encablures seulement de sa maison d’édition éponyme à Saint-Germain-des-Prés, ce comptoir de vente avait pour vocation d’être la vitrine de ses publications. A contre sens total d’une logique purement commerciale, s’y trouvait alors une bibliothèque où les gens pouvaient emprunter des livres. « Il faut prendre de biais les choses les plus simples » avait coutume de dire l’illustre éditeur. Tout en proposant l’intégralité du fonds disponible de la maison, c’est en 1950 que la librairie va s’ouvrir à la production des éditeurs concurrents. Anne Ghisoli libraire aguerrie qui nous reçoit aujourd’hui, a pris la direction de l’enseigne en 2011 et a mis en œuvre en 2015 le gros chantier de rénovation des murs et de la déco. Tout en modernisant le lieu, on en a préservé l’âme. De majestueuses bibliothèques qui s’élèvent du sol au plafond avec leurs échelles pour accéder aux étagères les plus hautes offrent un élégant écrin aux ouvrages présentés. Ne vous laissez pas impressionner, ici on est chaleureusement reçu par une équipe de six libraires. C’est au rythme très soutenu de deux à quatre rencontres par semaines qu’ils animent tous la librairie, avec la spécificité d’un rendez-vous dédicace tous les vendredis en fin d’après-midi en présence d’un auteur de bande dessinée.
Quel roman nous conseillez-vous de lire ?
Pour rendre hommage à notre façon au regretté Paul Otchakovsy-Laurens, qui a su comme peu d’éditeurs créer une belle communauté d’auteurs, je vous parlerai d’une de ses dernières publications : « Les spectateurs » de Nathalie Azoulai (POL). Un texte tout en finesse, où se dessine une poignante histoire d’exil. Le narrateur est un jeune garçon de 13 ans qui porte un regard aiguisé sur un père sombre, taiseux et sur une mère qui semble s’évader dans la fabrication de robes de star et la lecture de magazines de cinéma des années 40. On imagine alors qu’ils ont fui un pays du Moyen-Orient. C’est un très beau texte , où rien n’est jamais forcé.
Et du côté des étrangers ?
Plus qu’un livre, un coup de poing : « Un jardin de sable » de Earl Thomson (Monsieur Toussaint Louverture). Ce roman a tout pour devenir culte. Il se situe aux Etats-Unis dans les années 30 pendant la grande dépression. C’est une initiation à la vie dans la pauvreté, la vulgarité et la brutalité. Une plongée de 800 pages dans le monde des laissés pour compte, peu fréquentables, mais d’une si belle humanité. À découvrir.
Quel premier roman vous a particulièrement marqué ?
« Fugitive parce que reine » de Violaine Huisman (Gallimard). Elle nous raconte sans jamais être dans la plainte, mais avec force d’amour ce qu’elle a vécu avec une mère maniaco-dépressive. Un livre entre cris et hurlements, mais où rien n’est tout noir ou tout blanc . En tous les cas très vibrant .
Quel livre vous êtes-vous promis de lire ?
Ce n’est pas un, mais deux : L’Illiade et l’Odyssée . Je me sens toujours bête de ne pas les avoir lus. Je pourrais toujours commencer par la biographie d’Homère de Pierre Judet de la Combe (Folio Biographie).
Quel est le livre culte le plus emblématique de la librairie ?
Ce n’est pas un, mais sept ouvrages, qui composent « À la recherche du temps perdu » de Marcel Proust (Gallimard). Bien que la Recherche existe en Pléiade, elle est bien plus souvent demandée en collection blanche. C’est toujours émouvant quand un jeune lecteur démarre Proust. Je lui dis de ne surtout pas avoir peur de l’ampleur et que son monde s’en trouvera tellement enrichi.
Une brève de librairie :
C’est une anecdote, que beaucoup de libraires ont déjà vécue et qui fait vraiment plaisir. Notre métier est passionnant, mais très difficile. Ma plus grande joie est celle d’avoir recommandé un jour à un client à Grenoble un auteur auquel je suis très attaché : Henri Calet dont j’ai absolument tout lu et relu: « La belle lurette », « Peau d’ours », « Les murs de Fresnes » … Je retrouve cet homme bien plus tard à Paris qui se présente à moi en s’exclamant: « Vous me reconnaissez, vous m’aviez fait découvrir l’œuvre de Henri Calet ! » Cette joie-là, de la transmission abolit toute distance et le temps alors ne se compte plus.
Propos recueillis par Brigitte Lannaud Levy
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