Le genre de l’autobiographie imaginaire est malaisé à maîtriser .Jean-Marie Dallet, auteur de Je, Gauguin dément quelque peu ce présupposé .Dans ce récit, il est le « Je » de Gauguin, son intimité, ses secrets, ses tourments récurrents, ses obsessions. Ce qui accroche dès l’entame de l’ouvrage, c’est l’explicitation des choix de ce peintre ; il avoue ainsi, au retour de son voyage en Amérique Latine où il a passé soit dit en passant une partie de son enfance, sa dépendance vis-à vis du désir d’évasion, de fuite d’un ailleurs forcément attractif : « En fait dès qu’il s’agira de fuir , de chercher ailleurs plus loin , toujours plus loin- un existence différente , je serai toujours partant, n’admettant jamais que de lever l’ancre, même pour le bout du monde, ne sert à rien, que l’on n’échappe jamais à l’enfer intime qui vous colle au cœur, au Sud comme au Nord. » Le besoin vital d’exploration et de découverte est circonscrit, d’autant plus que Gauguin tente dans un premier temps de concilier vie professionnelle et amour de la peinture .Il n’y parvient pas, même s’il tire des revenus confortables de son emploi à la banque .Le désir, composante essentielle de sa vie de peintre et d’homme, est plus fort . Il est contradictoire avec ses choix matrimoniaux : Gauguin a en effet épousé Mette, jeune bourgeoise danoise qui ne comprend guère ses aspirations artistiques .Mais quel est le déclic purement artistique ? Quelles sont les clés qui ouvrent les portes de l’univers pictural ? Jean-Marie Dallet, alias Gauguin, nous donne des pistes fructueuses .Le perfectionnement à l’art pictural, les repères esthétiques sont donnés par les Arosa, une famille, qui lui sert de tuteur financier et de mentor artistique .Il est vrai qu’aux murs des appartements de ces demeures visitées par Gauguin, pendent des toiles de Courbet, Delacroix, Corot, Jongkind, Pissaro…
On ne saurait rêver plus belle entrée en matière .Marguerite, la fille cadette de la famille Arosa emmène Gauguin se parfaire à la technique dans les bois de Viroflay, elle l’initie aux multiples nuances des verts .Le filleul d’Achille Arosa applaudit les talents naissants de ce jeune peintre, il s’appelle Claude Debussy…Pour les préférences des courants, nous sommes également guidés de main de maître « Degas, Cézanne, Pissarro seront bien mes hommes et je ne le dirai jamais assez , » Pour les interrogations, elles seront présentes sa vie durant : « Je rêve seulement d’adonner l’épiderme des êtres et des choses, pour chercher-au-delà de la réalité première des réponse impossibles à des questions impossibles, des questions –pourquoi ? comment ?-concernant la vie. La vie ! »
On est frappé également par la présence continuelle du tourment dans la vie de cet homme, soucis financiers quasi-constats, échec conjugal, désir frénétique de séduire, recherche des sources de vie dans son esthétique. Jean-Marie Dallet a réussi son pari : les recoins les plus intimes et les plus secrets de l’âme de ce peintre nous sont familiers à l’issue de la lecture de ce livre passionnant.