illustration Brigitte Lannaud Levy
Elle est imaginaire et pourtant ce n’est pas dans un roman ou dans votre tête que vous la trouverez. Par chance, elle existe bel et bien dans la réalité. À Annecy, rue de la Poste, vous ne pouvez pas la rater tant elle est jolie. Une majestueuse devanture en bois blond, surplombée d’une délicate marquise en fer forgé. C’est bien simple, la porte poussée, on se croirait plongé dans la bibliothèque d’Harry Potter. Ne vous fiez pas à l’apparente étroitesse des lieux, cette librairie toute en hauteur détient sur 45 m2 pas moins de 17.000 livres. Créée en 1981, cette enseigne a été rachetée sur un coup de cœur en 2003 par Catherine Mugnier, qui nous reçoit aujourd’hui. Quand elle nous explique l’origine de son nom, elle précise qu’elle tient particulièrement à ce que l’on ne le déforme pas. Souvent les gens l’appellent la librairie « de l’imaginaire », ce qui en soit n’est pas faux. Mais elle tient à l’adjectif « imaginaire » tout court. Suite à un incendie, la librairie était partie en fumée. Elle n’avait pas les fonds nécessaire pour reconstruire et il fallait refaire des emprunts. Tout son rêve était parti en fumée et la librairie semblait n’exister encore que dans son imagination. Mais aujourd’hui ce lieu rêvé existe et c’est avec un sens aigu du partage et de la transmission, que Catherine Mugnier y organise de nombreuses rencontres littéraires dont certaines en partenariat avec l’association « Histoire d’en parler » qu’anime l’ancien propriétaire des lieux : René Vuillermoz. Rencontre avec une libraire vibrante de passion pour son métier.
Quel est votre coup de cœur du moment en littérature ?
« Trois jours chez ma tante » de Yves Ravey (Minuit).
Marcello dirige une école pour réfugiés en Afrique. Sa vieille tante fortunée qui réside en France dans une maison de retraite veut le déshériter et lui supprimer la pension mensuelle qu’elle lui verse. C’est un roman incisif, pertinent qui est construit sur l’ambiguïté du personnage principal. Ravey joue avec les nerfs du lecteur. Un texte court, mais redoutablement efficace.
Et du côté des auteurs étrangers , que nous recommandez-vous ?
« Jeu Blanc » de Richard Waganese (Zoé). C’est un énorme coup de cœur, une profonde émotion. Alors que le reste de sa tribu Objibwé part enterrer le frère du très jeune Saul et ne revient pas, la grand-mère à qui il est confié meurt d’épuisement. Son petit fils de huit ans se retrouve seul au monde, pris en charge par les institutions. Mais le gouvernement veut faire des Indiens de bons Canadiens en les empêchant de pratiquer leurs rites et de vivre leurs traditions. Saul trouve son salut grâce au hockey sur glace, mais c’est sans compter sur le racisme, la cruauté des hommes. On lit ce livre avec colère, j’ai sorti mon kleenex à chaque page. J’aime quand un texte me bouleverse à ce point.
Y a-t-il un premier roman qui vous a particulièrement marquée ?
« Tristan » de Clarence Boulay (Sabine Wespieser). J’adore cette éditrice, sa ligne éditoriale et aussi la forme de ses livres: la typo, le format, le papier. C’est très agréable de les avoir en main. Ce roman raconte l’histoire d’une illustratrice partie seule à bord d’un langoustinier pour l’île de Tristan da Cunha, un bout de terre le plus isolé du monde, dans l’Atlantique Sud. La mer est dure et capricieuse, elle est logée chez l’habitant. Un pétrolier s’échoue, elle va aider trois hommes à nettoyer le littoral et sauver les oiseaux mazoutés. Avec l’un d’entre eux c’est le coup de foudre, mais l’histoire est impossible, il est marié. Un texte sensible sur les relations humaines. Un roman court sur les renoncements nécessaires, c’est très beau.
Quel est le livre le plus emblématique de la librairie que vous défendez avec ferveur ?
J’en ai deux. « Le cœur cousu » de Carole Martinez (Folio) dont je suis littéralement tombée amoureuse. Une épopée surnaturelle, comme un conte envoûtant sur une lignée de femmes qui prennent leur destin en main. Mais aussi « Corps et âme » de Franck Conroy (Folio). C’est pour moi le roman magique par excellence. La vie d’un enfant bouleversée par un don : la musique. Quand je conseille ce livre, les gens reviennent pour le racheter et l’offrir. C’est un roman émouvant qui peut illuminer le cœur des plus cafardeux lecteurs d’hiver.
Quel est le livre que vous vous êtes promis de lire ?
« 4321 » de Paul Auster (Actes Sud). Je suis impatiente de le découvrir. J’attends d’avoir apprivoisé cette rentrée de janvier pour m’y plonger. 1124 pages, il faut avoir du temps.
À qui auriez-vous donné le prix Goncourt ?
« L’art de perdre » d’Alice Zeniter (Flammarion) correspondait bien à l’idée de repérer un jeune auteur qui promet. Mais j’aime beaucoup le lauréat Éric Vuillard et son roman « L’ordre du jour » (Actes Sud).
Une brève de librairie :
Un jour, un touriste canadien entre dans la librairie, il est intéressé par Jean-Jacques Rousseau, car nous sommes dans sa région. Des semaines plus tard je découvre un article – il était journaliste- où il nous qualifie de plus « belle librairie du monde ». J’aime cette idée que cette petite librairie rayonne et qu’elle ait cette renommée outre-Atlantique, jusqu’au Canada même. Quelle fierté.
Propos recueillis par Brigitte Lannaud Levy
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4 bis rue de la Poste
74000 Annecy
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