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Des jours d'une stupéfiante clarté
Aharon Appelfeld
traduit de l'hébreu par Valérie Zenatti
Points
janvier 2018
288 p. 7,40 €
La rédaction l'a lu
L’enfant sauvage
Il n’aura pas vu la sortie de son ultime texte, en France, ce pays qu’il aimait tant et où ses écrits étaient particulièrement estimés. Aharon Appelfeld qui vient de nous quitter était un immense écrivain israélien, sinon le plus grand. «Histoire de ma vie », qui sera récompensé du prix Médicis étranger, le fait connaître du plus grand nombre mais ses récits qui tournent autour de son enfance l’avaient déjà rendu célèbre internationalement.
Des années de sang et de feu
Et de quelle enfance parle-t-on ! Né en Bessarabie en 1932, il voit sa mère mourir à côté de lui pendant la guerre, puis arrive la marche forcée avec son père en direction d’un camp dont seul il parvient à s’échapper. Le jeune Aharon est cet enfant sauvage, qui survit dans les forêts, aidé parfois par les partisans mais plus souvent laissé à lui même quand il n’est pas battu ou dénoncé. Enrôlé comme cuistot par l’Armée rouge, il arrive en Palestine en 1946 ….. et apprend l’hébreu au point de devenir professeur de littérature à l’université.
Tous ses livres racontent ces années de sang et de larmes et le dernier ne fait pas exception. On suit un jeune garçon, Théo, qui a survécu à la guerre et au camp. Libéré, il ne sait où aller. Rester avec ses compagnons d’infortune, marcher jusqu’à chez lui (mais existe-t-il toujours un chez soi pour un survivant de la Shoah ? ) ou encore s’enrôler pour défendre ceux qui l’ont libéré des nazis ? Chemin faisant, il rencontre des hommes et des femmes, cabossés comme lui, certains encore dotés d’humanité, d’autres réduits à l’état d’animaux hébétés. Il doit traverser cette nouvelle épreuve, traverser métaphoriquement la forêt pour éviter la mort.
Entre naïveté et foi dans l’homme
Comme toujours, chez Appelfeld, il y a le spectre des jours heureux, de la famille avant le cataclysme et la promesse d’un amour à venir. Tout est suggéré, jamais énoncé de manière froide, entre fausse naïveté et véritable foi dans l’homme. On se croirait parfois dans Modiano tant les thèmes se ressemblent et l’on retrouve la solitude, la culpabilité du survivant mais aussi l’espoir qui fait avancer Théo, malgré l’absence des siens et en particulier de sa mère, Yetty, qui le taraude. Appelfeld est le romancier du silence, de l’absence, de la douceur aussi. Il faut lire son dernier texte mais surtout redécouvrir son œuvre aux quarante livres dont « Les partisans » , « Et la fureur ne s’est pas encore tue» ou «Le garçon qui voulait dormir » ( tous aux éditions de l’Olivier et magistralement traduits par Valérie Zenatti ) qui, déjà, racontent en filigrane un jeune homme perdu après la guerre et dressent un autel de mémoire à toutes les victimes de la Shoah .
Après la libération des camps, Theo Kornfeld, âgé de vingt ans, part sur les routes, seul, sans ses compagnons de déportation. Il a passé deux ans et demi dans le camp numéro 8, a vu mourir la plupart des hommes de son baraquement. Il doit la vie à ceux qui l’ont aidé tandis qu’il avait contracté le typhus. Maintenant, il rentre chez lui, à Sternberg, en Autriche. Il doit marcher, veiller à ne pas se perdre, ne pas revenir sur ses pas. Il plante des piquets çà et là pour en être certain. Il admire le paysage éblouissant qui s’offre à lui, s’arrête pour une contemplation volée à cette course contre la montre. « L’immense plaine s’étendait dans toute sa splendeur verte. Les ombres des bouleaux frémissaient sur le sol en silence. Une douce lumière de fin d’après-midi régnait, tel un cocon dans lequel l’on pouvait se blottir. » Sur le chemin, où errent de nombreux déportés, il ne cesse de faire des rencontres, notamment celle de Madeleine, survivante de la Shoah elle aussi, qui fut secrètement amoureuse de Martin, le père de Theo. C’est auprès de cette femme qu’il connaîtra peut-être un peu mieux ce père libraire si mystérieux.
D’autres déportés trouvent un sens à leur vie en distribuant du café et des sandwichs à ceux qui ont souffert de la faim et de la soif pendant plusieurs années. Offrir aux autres de quoi vivre, telle est maintenant leur mission. Avec certains, il discute, s’interroge, se dispute ou reste silencieux.
Et puis, Theo dort, souvent. Il tombe d’épuisement sans même s’en rendre compte et s’enfonce dans la profondeur des songes. Alors, il retrouve le visage de sa mère, Yetti, une très belle femme fantasque fascinée par la beauté des monastères chrétiens, notamment celui de Sankt Peter où elle contemple pendant des heures une icône de Jésus, oubliant momentanément son judaïsme. Elle admire aussi la musique de Bach, préférant initier son fils aux beautés du monde plutôt que de l’envoyer à l’école. « On ne peut pas se permettre de rater une belle vision que l’instant nous offre. » lui disait-elle souvent avant d’être déportée elle aussi.
Les personnages de Aharon Appelfeld évoluent entre veille et sommeil, divagations et rêves et si l’ on ne perçoit pas toujours au premier abord le sens de leurs propos, tout laisse penser que ce qu’ils disent est essentiel. D’ailleurs, ces êtres semblant évoluer dans un monde onirique ont quelque chose de kafkaïen. Souvent rêve et réalité se confondent et l’on passe de l’un à l’autre au détour d’une phrase. C’est donc une traversée mystérieuse et énigmatique qu’il nous est donné de faire aux côtés de Theo.
Ce roman, à la fois poétique et philosophique, pose à travers les interrogations du personnage principal les grandes questions qui ne cessent de hanter le peuple juif : Pourquoi ? Quelle est notre faute ? Peut-on témoigner sur les camps et si oui, de quelle façon ? Ne vaut-il pas mieux se taire ? Faut-il « rester groupés » ou partir, s’éloigner du groupe ? Et si l’on s’éloigne, qui nous comprendra ? « Je ne comprends pas pourquoi les gens se rassemblent de nouveau. Ils n’ont pas appris la leçon ? » s’interroge Theo « Rester ensemble, toujours ? Toujours avec ceux dont la souffrance ne quitte pas le visage ? À ressasser ce qui s’est passé ? À accuser tantôt les autres, tantôt soi-même ? ».
Toutes ces questions reviennent à l’esprit du jeune Theo, de façon obsessionnelle, tandis qu’il progresse chaque jour un peu plus. Mais que va-t-il trouver en rentrant ? Ses parents déportés sont-ils encore vivants ? N’est-ce pas risqué de rentrer pour s’apercevoir que l’on est seul, qu’ils sont tous morts là-bas ?
« Nous devons accepter l’incompréhensible comme une part de nous-même… L’incompréhensible est plus fort que nous. On doit l’accepter, comme on accepte sa propre mort. » pense Madeleine. Terribles paroles… Peuvent-elles soulager ? Je ne sais pas…
Des jours d’une stupéfiante clarté a d’autant plus de force que l’on sait qu’il est le dernier livre de l’auteur, mort le 7 janvier 2018 à l’âge de 85 ans. En 1941, il avait été déporté enfant avec son père à la frontière ukrainienne dans un camp de travail de Transnistrie dont il s’était échappé en 1942, seul, à l’âge de dix ans. Il se cacha dans la forêt où il vécut pendant trois ans en mangeant tout ce qu’il pouvait trouver, fut hébergé par une prostituée et rejoignit une bande de voleurs de chevaux avant d’être enrôlé comme cuisinier par l’Armée Rouge. Après moult pérégrinations, il arrive en Palestine en 1946, à 13 ans. Il dira de son enfance qu’elle fut horrible, atroce, tout en précisant : « Je rends grâce à Dieu qu’ils n’aient pas pris l’enfant qui est en moi. » Il apprendra l’hébreu et enseignera à l’Université. Il retrouvera en 1957 son père en Israël. La littérature sera au coeur des travaux de l’auteur. Il pensait en effet qu’il était nécessaire de passer par la littérature pour dire la vérité parce qu’autrement, on ne le croirait pas… Stupéfiantes paroles.
Par ailleurs, la littérature lui permettait de combler les blancs et de lutter contre l’oubli. « Je n’écris pas des livres, j’écris la saga du peuple juif. » Un livre, toujours le même, comment peut-il en être autrement ?
Dans ce très beau roman testamentaire, dont l’écriture n’a de simplicité que les apparences, Theo semble être un double de l’auteur, porteur de ses doutes, de ses angoisses, du sentiment d’absurdité qui l’habite, un être pleurant la perte de la mère, amour absolu, dont il a été violemment privé.
Son personnage aura-t-il plus de chance que lui en retrouvant à la maison une mère et un père se tenant sur le seuil pour l’accueillir et l’aimer ?
Quoi qu’il en soit, dorénavant, comme le dit un rescapé du désastre : « Malgré ce que nous avons éprouvé dans notre chair, nous nous battrons pour garder l’esprit lucide et la foi dans le bien. Et malgré la mort cruelle qui a voulu nous arracher nos parents et grands-parents, nous continuerons de vivre avec eux. Nous avons abattu la séparation entre la vie et la mort. » Peut-être le songe est-il le seul espace possible où les vivants et les morts se retrouvent et s’aiment…
Puissent-ils être heureux et rattraper un peu le temps perdu…