b i e n t Ô t
«La chorale des dames de Chilbury» de Jennifer Ryan, traduit de l’anglais par Françoise du Sorbier paraîtra le 15 mars aux Editions Albin Michel 1940. Un paisible village anglais voit partir ses hommes au front. Restées seules, les femmes affrontent une autre bataille : sauver la chorale ! Potins, jalousies, peurs, amours secrètes, Jennifer Ryan s’est inspirée des récits de sa grand-mère qui a vécu ces drôles de combats dans un petit village du Kent. En voici le début : « Premier enterrement de la guerre, et la chorale de notre petit village n’a même pas été capable de chanter juste. Les mots « Saint, saint, saint » se sont envolés comme s’ils étaient pépiés par une volée de moineaux poussifs. La faute n’en était pas à la guerre, ni à ce jeune chenapan d’Edmund Winthrop, coulé par une torpille dans son sous-marin, ni même à la direction désastreuse du pasteur. Non : nous donnions là l’ultime prestation de la chorale de Chilbury. Notre chant du cygne. « Je ne vois pas pourquoi on devrait arrêter », a lancé sèchement Mrs. B. quand nous nous sommes assemblées ensuite dans le cimetière brumeux. « Ce n’est pas comme si nous étions une menace pour la sécurité nationale. » -Tous les hommes sont partis, ai-je soufflé en retour, consciente que nos voix portaient de façon gênante dans la foule réunie pour l’enterrement. « Le pasteur dit qu’il ne peut pas y avoir de chœur sans hommes. -Et pourquoi, sous prétexte que les hommes sont partis à la guerre, devrions-nous dissoudre la chorale ? Au moment précis où nous en avons le plus besoin ! Non mais, qu’est-ce qu’il va supprimer ensuite ? Ses carillonneurs bien-aimés ? Le culte du dimanche ? Noël ? Il y a des limites ! » Elle a croisé les bras exaspérée. « D’abord, on nous confisque nos hommes pour les envoyer combattre, ensuite on nous force à travailler, nous autres femmes, puis on rationne la nourriture et maintenant, on dissout notre chorale. D’ici à ce que les nazis arrivent, il ne restera plus rien, sauf une poignée de malheureuses prêtes à se rendre. -Mais c’est la guerre, ai-je répliqué, essayant de tempérer ses récriminations. Nous autres femmes devons assumer une charge de travail supplémentaire pour la bonne cause. Cela ne me dérange pas de faire l’infirmière à l’hôpital, même si c’est assez lourd, en plus de mes tâches au dispensaire du village qu’il faut maintenir ouvert. -La chorale fait partie de la vie de Chilbury depuis l’aube des temps. Il y a quelque chose de réconfortant à chanter ensemble. » Elle a bombé le torse, sa haute silhouette carrée évoquant celle d’un maréchal corpulent. Le cortège a pris la direction du manoir de Chilbury pour le verre de sherry et le sandwich au concombre de rigueur. J’ai soupiré : « Edmund Winthrop. A vingt ans seulement, sauter en mer du Nord… -C’était une brute et un salaud, a aboyé Mrs B. Vous vous souvenez de la fois où il a essayé de noyer votre David dans l’étang du village ? -Oui, mais c’était il y a longtemps, ai-je chuchoté. De toute façon, comment vouliez-vous qu’il soit stable avec un père qui le rouait de coups ? Je suis sûre que le général Winthrop doit avoir assez mauvaise conscience maintenant qu’Edmund est mort. »
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