l e c r i t i q u e i n v i t é Bruno Corty (Le Figaro) a choisi À bientôt quatre-vingts ans, William Bayer, l’ex-agent de la CIA devenu auteur de polars, poursuit une œuvre hantée par l’art et la psychanalyse. Deux thèmes au cœur de « La photographe de Lucerne ». Un titre qui fait évidemment référence à ce cliché fameux de 1882 sur lequel on voit, devant un décor montagneux de carton-pâte, une jeune femme dans une carriole tirée non pas par des chevaux ou des bœufs, mais deux hommes. La jeune femme qui brandit une badine et fait mine de fouetter les hommes n’est autre que Lou Andreas-Salomé. Les hommes sont ses amis et soupirants frustrés, le philosophe Friedrich Nietzsche et le physicien Paul Rée. En partant de ce cliché qui a donné lieu à de nombreuses interprétations, William Bayer construit une intrigue à plusieurs niveaux dans laquelle il imagine deux autres versions de la photographie scandaleuse. L’une offerte à Vienne à Lou Andreas-Salomé en 1913 par un artiste peintre inquiétant, fan de Nietzsche et de Wagner, qui deviendra l’une des figures maléfiques du XXe siècle ; l’autre, réalisée de nos jours à Oakland, Californie, par une dominatrice récemment assassinée, posant avec deux beaux gosses nus. C’est dans son loft vacant au nom évocateur, le « Nid d’aigle », où subsistent quelques instruments utiles à sa profession (une croix de Saint-André et une cage), que s’installe une jolie performeuse en quête d’inspiration. L’endroit, l’histoire dramatique de la précédente locataire, le fait que Tess découvre que Chantal Desforges et elle s’étaient croisées dans un cours d’arts martiaux vont peu à peu obséder la jeune femme, qui va se muer, avec l’aide de sa psychanalyste, en détective. Entre les chapitres consacrés aux rencontres viennoises de Lou Andreas-Salomé avec son admirateur et les chapitres qui nous dévoilent des extraits des Mémoires non publiés du major nazi Ernst Fleckstein, le puzzle se met progressivement en place. Si l’on y ajoute les interventions à Oakland d’un policier félin, d’un peintre bougon, d’une dominatrice nommée Lynx et d’un vrai faux spécialiste de Freud, on arrive quasiment au bout de cette sombre affaire. Encore faut-il assembler les pièces du puzzle. C’est ce que fait avec une habileté redoutable William Bayer, dont le récit captive par ses différents degrés de lecture. Nazisme, psychanalyse, sadomasochisme, photographie, théâtre performatif… « La Photographie de Lucerne » brasse les thèmes sans perdre le lecteur en route. C’est du thriller psychologique de belle facture comme on a peu l’occasion d’en lire. |
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