i n t e r v i e w
A. J. Finn
« Romancier, c’est un métier où l’on travaille dur »
C’est l’histoire d’un homme qui, à 38 ans, change de métier, d’identité, de vie. Jusqu’au 29 décembre 2017, Daniel Mallory était encore éditeur chez William Morrow, maison new-yorkaise spécialisée dans le polar et filiale du groupe Harper Collins. Le 2 janvier, sa démission remise, il publiait sous le pseudonyme d’A.J. Finn son premier roman, un thriller psychologique appelé à connaître un succès monstre. Bombardé en quelques jours n°1 des best-sellers du New York Times, « La Femme à la fenêtre » (notre critique est ici) est sorti dans 40 pays et va être porté à l’écran dès cette année. Nous avons demandé à l’auteur en quoi un succès si soudain bouleversait son quotidien.
Depuis le lancement de votre livre, êtes-vous très sollicité sur les réseaux sociaux ?
Mon éditeur a insisté pour que j’y sois présent et j’ai accepté, mais je n’ai jamais aimé ça, car je tiens à ma vie privée. Je sais ce que je dois à mes lecteurs, j’apprécie de recevoir leurs messages, mais je veille à contrôler ce qu’ils savent de moi. Je n’ai ni la volonté, ni le temps de m’engager dans des échanges sur Internet. Mon plan est donc d’avoir des comptes actifs sur les réseaux sociaux sans trop les alimenter… Facebook n’est vraiment pas attractif. Instagram est plus acceptable car il faut moins de texte. Quand j’aurai mon chien, je posterai sa photo pour que mes lecteurs le connaissent. Entre les deux, il y a Twitter. J’y ai annoncé que j’étais en tournée mais j’ai renoncé à répondre à certaines personnes, quitte à paraître grossier. Twitter libère les pires pulsions et favorise des échanges plein de rancœur. Cela va à l’encontre de mes valeurs, moi qui aime contrôler ce que je dis et ce que j’écris…
Le contenu de vos journées a-t-il beaucoup changé ?
Je suis à un âge, 38 ans, où mes amis ont une vie de famille et où je les vois peu. Cela dit, j’ai renoncé à ma vie sociale. Je vais à la salle de sport ou nager, je fais du bénévolat dans un refuge pour chiens. Sinon, je m’astreins à dormir plus tôt. Il y a encore six mois, je me levais à 9 heures et me couchais à 2 heures du matin. Maintenant, c’est plutôt 4 heures du matin – 20h30. J’attaque très tôt mon travail administratif, je me fais livrer mes repas – et à New York, on peut TOUT se faire livrer sans bouger de chez soi – et j’écris l’après-midi, de 13 heures à 18 heures. Chez moi, je m’impose 1000 mots par jour, comme le conseille Stephen King, peu importe si je les garde ou pas le lendemain. C’est une vie solitaire.
Il vous reste du temps libre ?
En général, comme j’aime cuisiner, je me fais à dîner et après je vais sur Netflix ou je regarde un vieux film. Mais en ce moment, le temps est rare et précieux, alors si j’ai une heure libre, je préfère lire. Un livre est le meilleur rapport qualité/prix qui soit : pour 25$ ou 25€, on a des heures de divertissement et une vision qui n’appartient qu’à soi. Je lis beaucoup de classiques et des polars. J’aime les auteurs qui, en plus de proposer une bonne histoire, offrent quelque chose de plus substantiel sous la surface, des personnages dont on se souvient. Sinon, même si j’aime les gens, je sors peu, je ne bois pas, je me sens à l’aise avec moi-même.
Il ne doit pourtant pas manquer de gens qui veulent devenir vos amis…
(Rire) Non, mais je me suis surtout rapproché de mon agent aux Etats-Unis et de mon agent au Royaume-Uni. J’ai aussi rencontré d’autres auteurs qui se montrent très chaleureux. Je suis notamment devenu très ami avec Gillian Flynn (NDLR. « Les apparences »), qui m’a pris sous son aile et me conseille. Tout ce que je vous dis doit vous faire croire que ma vie est devenue plus âpre. Elle n’est pas moins drôle, c’est juste que chaque minute compte. Je noue davantage d’amitiés par le biais du travail que par les canaux sociaux habituels.
Vous avez dorénavant 40 éditeurs dans le monde, la 20th Century Fox prépare l’adaptation du livre au cinéma… Etes-vous devenu riche ?!
Je sais déjà que le film, succès en salles ou pas, relancera les ventes du livre, qui sont déjà excellentes. Et il a tout pour être une réussite : produit par Scott Rudin (« No country for old Men », « The social Network »), adapté par Tracy Letts (prix Pulitzer), réalisé par Joe Wright (« Les Heures sombres ») avec une actrice de premier plan pour jouer Anna. Mais le livre reste plus rémunérateur que le film. J’ai pu solder le crédit de mon studio à New York, où je me sens à l’étroit. Je pense depuis un moment acheter plus grand, à New York ou à Londres, mais ce sont des villes si chères que, même avec quelques millions devant soi, c’est compliqué. Et comme je suis en tournée jusqu’en novembre, ça me laisse peu de temps pour chercher.
Qu’allez-vous faire de votre argent ?
Pour commencer, m’acheter un chien, en septembre. Puis emmener ma mère en voyage en Australie, ce sera l’expérience de sa vie. En fait, j’ai eu de la chance, cet argent est une aubaine et je me sens obligé de faire le bien autour de moi. Je suis très sensible à plusieurs causes et j’ai décidé d’en aider deux en particulier : la lutte pour la santé mentale et la défense des droits des homosexuels. Je suis gay dans un pays dont 28 états ont adopté des législations anti-homosexuels et dont le vice-président considère l’homosexualité comme une maladie qu’il faut soigner ! Je vais soutenir financièrement l’ONG canadienne Rainbow Railroad, qui aide les homosexuels dans tous les pays où ils sont persécutés.
Votre regard sur vous-même a-t-il évolué avec le succès de votre livre ?
Oui, j’ai une meilleure image de moi-même. Je ne suis pas quelqu’un qui déborde de confiance en soi. Je me suis demandé pendant des années quelles raisons les gens auraient de s’intéresser à ce que j’écrirais. C’est pour cela que j’ai imaginé cette histoire de solitude et de traumatisme. Ce n’est pas un thriller sur la dépression mais sur la confiance en soi. Et quand il est sorti, j’ai eu un profond sentiment d’accomplissement. Rien n’est plus gratifiant que d’entendre un lecteur me confier qu’il souffre d’un trouble mental et que mon livre le réconforte. Je me dis que cela valait la peine.
Et votre santé à vous ?
La semaine dernière, je suis rentré d’une tournée de promotion en Floride avec la grippe. Epuisé. Mais je prends soin de moi, je contrôle. C’est aussi pour cela que je ne bois jamais.
Votre vision de l’avenir a-t-elle évolué ?
Un mois avant la sortie du livre, j’ai senti que tout se mettait en place. Mes dix années d’expérience comme éditeur m’ont fait réaliser que le livre allait marcher. Mais j’ignorais jusqu’à quel point. Et je ne sais pas quel sera l’accueil à l’international. Il y a aussi des choses qui ne sont pas en mon pouvoir, qui dépendent d’un éditeur ou d’un producteur. Ce sont les raisons pour lesquelles, s’agissant du futur, je m’accroche à l’écriture de mon prochain livre, ou à l’idée d’adopter un chien. Je n’ai pas de plan de carrière à cinq ans.
Difficile de passer au deuxième livre après un tel démarrage ?
Heureusement, j’ai eu l’idée du deuxième avant la sortie du premier. C’est aussi un thriller psychologique, qui se passe de nos jours à San Francisco, dans une atmosphère à la Conan Doyle ou Agatha Christie. Mais il est plus dense, plus ambitieux, plus riche, avec davantage de personnages, donc plus dur à écrire. Romancier, c’est un métier où l’on travaille dur.
Propos recueillis par Philippe Lemaire