Jonquille: Afghanistan, 2012
Jean Michelin

Gallimard
blanche
novembre 2017
368 p.  21 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Journal d’une guerre sans nom

L’armée, une « grande muette », vraiment ? Cela reste à voir. De Jules César à De Gaulle, l’institution n’a jamais manqué de chefs sachant prendre la plume pour coucher leur pensée. Et au siècle de l’information en continu et des réseaux sociaux, toutes sortes de tribunes s’offrent à cette grande bavarde pour formuler ses analyses ou états d’âme. Récemment, c’est une autre forme d’histoire encore qu’a choisi d’écrire un jeune officier de l’armée de terre, un autre genre littéraire qu’il a voulu s’approprier. Dans les presque 400 pages de « Jonquille », le commandant Jean Michelin délivre un surprenant journal de bord de ses six mois de mission en Afghanistan. Une sorte de reportage de l’intérieur qui développe, avec une subjectivité assumée, les meilleurs et les pires aspects du quotidien dans une base avancée en Kapisa, cette région montagneuse qui borde le Pakistan. Les bons moments, ce sont les rencontres. Non pas avec les villageois, que les unités combattantes n’approchent guère, mais avec ce curieux échantillon de Français qui compose une compagnie. C’est pour eux que l’auteur dit avoir entrepris son livre, début 2013, trois mois après son retour en France. Il les fait vivre avec naturel et bonhomie, au travers d’anecdotes souvent légères et, parfois, de jours tragiques. L’attentat-suicide qui emporte quatre soldats, le 9 juin 2012, est le moment-clef du récit, une épreuve qui soude et renforce autant qu’elle traumatise. Le pire moment de cette vie en vase clos, parce qu’il sème un deuil et une peur auxquels personne, jamais, ne peut être préparé. Cet épisode émerge d’un récit qui, pour le reste, surprend là où on l’attend le moins : en racontant le vide. Attente des opérations, ces sorties en convoi blindé où il faut reconnaître une route ou protéger le passage d’un convoi. Attente du mouvement dans l’étuve d’un véhicule blindé, par 40° à l’ombre. Attente des repas, le soir, dans les tentes, quand un karaoké un peu débile fait retomber la pression. Attente du sommeil en regardant les étoiles, le rock de Radiohead en fond sonore. Ce temps suspendu, le jeune capitaine d’alors nous passionne en le déroulant avec sincérité, sans rien occulter de ses frustrations. Il offre au passage à ses lecteurs civils une révélation : à l’armée, en dehors des opérations, tout s’écrit. Ordres. Echanges radio. Stocks de munitions. Hommages aux disparus. Tout s’écrit, tout le temps. Cela allait de soi, finalement, de mettre des mots sur ce vécu ignoré. Des mots qui ne sont pas près de se flétrir. Jean Michelin a troqué le treillis pour un uniforme de ville, et le skyline aride de Tagab pour le QG high tech de l’Otan à Norfolk, en Virginie. Mais de là-bas, il a appris qu’un jeune fantassin américain avait perdu la vie, début mai, là où quatre Français de la compagnie Jonquille étaient morts six ans auparavant.

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