On aurait pu s’attendre à trouver, dans ce court glossaire, des mots rares, précieux, oubliés, évocateurs, comme on en trouve souvent dans les livres de Bergounioux. Non. Il s’agit de trente mots-clés pour comprendre l’itinéraire à la fois intellectuel, politique et spirituel d’un des écrivains les plus atypiques qui soient dans notre littérature contemporaine – même si je lui trouve une parenté avec Michel Serres, l’un et l’autre ont eu des enfances de petits paysans, l’un et l’autre ont découvert le champ immense de la culture dans lequel il n’était pas écrit qu’ils puissent entrer et ont eu le désir fou de le parcourir dans son entier ; il y a chez l ‘un comme chez l’autre une commune fascination pour l’encyclopédisme. Ils ne sont pas de ces héritiers qui s’autorisent à ne pas savoir ce dont ils parlent parce qu’ils sont bien conscients que leur pouvoir ne s’en trouvera pas contesté, qu’on pourra même juger leur désinvolture brillantissime, leur je m’enfoutisme une suprême élégance. Ils ressentent, eux, l’impérieuse nécessité de tout savoir. Michel Serres écrit quelque part que « l’encyclopédisme est la politesse de la philosophie ». Ils y parviennent de manière différente. Bergounioux a parfois la maladresse de l’autodidacte de La nausée, il lit tout ce qui lui tombe sous la main et perd sans doute beaucoup de temps à des lectures inutiles, dépassées, avant de rencontrer les gens qui peuvent l’aiguiller dans la bonne direction. Serres fait preuve de plus de méthode, quoique l’image du « buissonnement » chez lui récurrente soit fort peu cartésienne.
Mais on trouve chez Bergounioux des termes qui sont étrangers au vocabulaire de Michel Serres, ceux du marxisme, de la militance politique (« dernière instance », « camarade », « Marx »..) et qui pourraient paraître obsolètes en cette période de domination absolue de la pensée néo-libérale. J’aime chez lui cette fidélité au jeune homme qu’il fut. « La bourgeoisie mondiale goûte, depuis deux décennies, d’une quiétude qu’elle avait perdue depuis deux siècles. L’adversaire s’est comme absenté. Son langage a été frappé d’un discrédit tel dont onpeut s’étonner qu’il ne soit pas complet, comme la destruction de la société soviétique qui s’en réclamait. Mais il n’existe pas de pensée capitaliste. Elle se ramène au calcul rationnel des chances deprofit, qui ne saurait engendrer d’autres conduites que cyniques, d’oeuvres que marchandes, dont la réalisation en argent constitue la finalité. »