Après deux romans très remarqués, « La Légèreté » (2014) et « Pour la peau » (2016), Emmanuelle Richard poursuit avec « Désintégration » l’écriture de soi et les débuts dans la vie d’une jeune femme, double de l’auteure.
Le déclassement
Issue de la classe moyenne, la narratrice quitte le giron familial pour aller faire ses études de lettres à Paris, où elle aspire à un avenir différent de celui de ses parents, à la reconnaissance (elle écrit déjà) et à l’aisance matérielle. En attendant, elle partage une colocation, travaille tout en étudiant mais sans conviction ni espoir. Manuscrits refusés, petits boulots alimentaires épuisants, humiliants, flexibilité oblige. Elle est caissière, retoucheuse, vendeuse, téléphoniste, pas le temps pour les amis, pas d’argent pour les loisirs. Depuis l’enfance, elle est « hantée par la question professionnelle », conditionnée pour décrocher un emploi et le garder, condition sine qua non pour consommer, être dans la norme des jeunes bourgeois qu’elle fréquente, qui la toisent et méprisent ses goûts qu’ils jugent vulgaires.
La honte
La honte devient son lot quotidien ; si elle s’enveloppe au début de son orgueil et de sa morgue, la jeune femme commence à s’effacer, rattrapée par le manque d’argent, toujours, l’insuccès, encore. Quand elle se met en couple, c’est pire, l’échec social en binôme, l’usure, la peur de l’interdit bancaire, la faillite. La honte bue reflue en nausée chronique, puis en haine de ceux qui ne comptent pas leur argent. Sa colère se radicalise et vire à la paranoïa, elle s’isole, asociale, insomniaque, réduite en miettes par dix ans de précarité sans issue. La désintégration, c’est la perte de son intégrité, de son identité, mais en physique nucléaire, c’est aussi la transformation en énergie, qui est le combustible de ce roman mené tambour battant. Oui, voici un roman de la haine et de la honte où l’on reconnaît l’héritage d’Annie Ernaux, mais aussi un roman du désir inouï tendu vers un futur flou où l’écriture transmue la hargne d’une jeune femme de notre temps. Un très bon roman, celui d’une génération.