Les romans d’espionnage à la française se font rares. Raison suffisante pour qu’on ait envie d’y regarder de près quand il en arrive un. Si, en prime, l’auteur défriche un sujet méconnu, l’intérêt redouble. Et s’il développe une théorie renversante, alors on se sent prêt à le suivre au bout du monde. Frédéric Paulin ne nous entraîne pas aussi loin, juste au Maghreb. Mais l’argument de « La guerre est une ruse », dixième titre de sa bibliographie très éclectique, suffit à ferrer tout lecteur un peu curieux.
Le livre nous ramène à une période récente, tragique, où Français et Algériens vont comprendre que leurs histoires respectives restent plus imbriquées que jamais. A l’aube des années 90, les généraux d’Alger viennent d’annuler les élections générales et répriment les islamistes qui les ont gagnées. Sur place, un agent des services français de renseignement, toléré par ses homologues locaux, découvre le jeu trouble auquel ceux-ci se livrent. Répression en façade, infiltration en sous-main.
Certains combattants islamistes sont lâchés dans la nature, tenus en laisse. Un haut gradé algérien les fait chanter pour qu’ils espionnent les maquis. Avec l’accord tacite de ses chefs, il pousse la manipulation toujours plus loin. Son calcul : semer la terreur pour que l’armée apparaisse comme l’unique recours possible face aux terroristes. Jusqu’à inspirer des massacres d’Algériens innocents, jusqu’à exporter la peur de l’autre côté de la Méditerranée.
Une théorie du complot qui semble folle… Mais que l’auteur rend plausible en tissant son récit fictif sur un canevas de réalité. Ses personnages imaginaires en croisent d’autres qui ont existé. Sur le papier, ses espions français sont de la même chair que les héros du « Bureau des légendes », la série de Canal+. Leur quête de vérités dérangeantes se heurte à une diplomatie parallèle pilotée depuis Paris par un certain… Pasqua. Et leur flair les met sur la piste de jeunes tueurs qui sortent de la clandestinité pour ensanglanter Paris.
Troublant mélange. D’autant qu’il respecte tous les codes du genre. Sans cesse au bord du craquage, l’agent de la DGSE Tedj Benlazar est déchiré entre ses racines françaises et algériennes, torturé par l’absence de sa famille, méfiant envers tous ceux qu’il approche, officiels comme anonymes. Il se donne des objectifs chimériques, compte sur des soutiens sans grands moyens, lutte sur tous les fronts sans arrière-garde.
Autour de lui, les personnages secondaires, à Alger ou à Paris, dans les ministères ou la clandestinité, prennent corps avec une précision documentaire. L’intrigue démarre fort et va crescendo, jusqu’aux prémices de l’attentat à la station Saint-Michel du RER. On se sépare alors de Tedj à regret, impatient de le retrouver dans cette trilogie fascinante et macabre qui dissèque le terrorisme d’hier pour mieux éclairer celui d’aujourd’hui.