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C’est une fable contemporaine, un roman d’initiation que nous propose Antoine Wauters avec l’un de ses deux romans de la rentrée, une ode à la liberté et à la résilience. Nous sommes dans un pays imaginaire où la nature et les grands espaces sont omniprésents. A la campagne, loin de la ville. Les conditions de vie sont rudes, harassantes. Paps et Mams travaillent leur exploitation agricole comme des bêtes de somme, ils se tuent au travail pour payer les taxes et s’en sortir. Au pouvoir depuis plus de vingt ans : une dictature communiste. Marcio et Léonora sont jumeaux, ils ont 11 ans au tout début du récit, ils sont eux aussi mis à contribution. Paps est très dur avec eux, le livraxiu – nerf de boeuf – est souvent utilisé pour les molester s’ils n’écoutent pas. La violence fait partie de leur quotidien et le manque d’amour est criant, si bien que Marcio et Léonora, jumeaux inséparables, trouvent refuge l’un dans l’autre (au sens propre comme au sens figuré). Ils sont complices et complémentaires trouvant dans l’autre la part qui leur manque. L’espace d’une demi-journée, ils échangeront leur rôle. Léonora partira aux champs avec Paps et Marcio s’habillera en fille pour effectuer les tâches ménagères avec Mams. Malheureusement le subterfuge sera vite découvert. Pour éviter de sombrer, ils lient leurs âmes et leurs corps , « le monstre chaud qui leur dévore le ventre » les rapproche. Paps les découvrira l’un dans l’autre et ce sera l’épreuve de la séparation. Léonora ira vivre chez l’oncle Zio avec Madde sa femme. Chez eux, loin de la ferme familiale, elle découvrira l’amour qu’elle n’a jamais reçu de ses parents, ce qui creusera encore plus le vide qu’elle cherchera à combler avec d’autres hommes. Marcio est désespéré, déchiré sans sa soeur, c’est le vide complet, la violence de Paps sera immense surtout après ses tentatives de la retrouver. Toujours le travail, la douleur de la séparation, le besoin et l’envie de la retrouver. L’histoire des jumeaux se fond très vite dans celle du pays où le dictateur en place sera remplacé par un autre en quelque sorte… Le président Bokwangu prendra les rennes du pays, le sortira du communisme pour imposer la voie du capitalisme. Il rêve d’un pays où fleurissent au détriment de la nature et des grands espaces, des hôtels de luxe, du béton qui dénature les côtes, des usines du régime, les voitures de luxe, les salons de coiffure …. Il veut créer un besoin, pousser son peuple à consommer, abandonner les campagnes pour créer des villes, des stations balnéaires, faire venir les touristes. « Le peuple écrasé pourra trouver seul la capacité de trouver le bonheur ». La situation dans les campagnes sera plus compliquée car il faudra produire et produire encore pour survivre, les taxes n’iront qu’en grandissant poussant les gens à quitter la campagne. Marcio et Léonora devront se construire dans ce contexte et trouver leur identité. Avec beaucoup d’habilité et une plume magnifique, fluide, visuelle, poétique et lyrique Antoine Wauters passe avec brio d’une chronique familiale vers une vision politique. Il nous amène à un questionnement sur l’évolution de notre société, à la recherche des limites, des interdits, de la quête de liberté. Il aborde des thèmes tels que la séparation, la recherche de l’identité par la désobéissance pour Marcio, par le sexe pour Léo, la liberté, le bonheur, le manque d’amour mais aussi la résilience, la capacité à pardonner. Le texte est puissant, lumineux. La prose est vive, aérienne. C’est parfois sombre, désespérant mais toujours l’espoir domine. Il y a encore tant de choses à dire, un texte qui bouleverse, le mieux à faire, c’est d’être curieux et de la lire. Je vous le recommande vivement. Ma note : 9/10 Les jolies phrases Cultivez votre joie le reste n’a aucune importance. Vivants, on courait sans arrêt, tout le temps, et comme il n’y avait pas la moindre ville dans le coin, on était vissé sur place. Mais on vivait, voilà : notre vie s’appelait joie. Surtout, jumeaux, ne faites pas notre erreur. N’ayez pas d’enfants ! Allez comprendre ceci : toute notre enfance, on vécut dans un temps hors du temps, où l’espoir enjambait le mal. La tristesse est un mur élevé entre deux jardins, disait Marcio. Nous aussi on aura notre jardin, ma soeur. Nous aussi on y arrivera, à être heureux. Chronométrer était pour nous une façon non pas de capturer le temps, mais de lui donner du goût : 12 secondes pour descendre à la cave chercher la bière de Paps, 34 pour enfiler notre pyjama, 57 pour nous débarbouiller et filer nous coucher. Toutes ces choses, qu’il fallait faire, mais qu’on n’adorait pas, c’était grâce à ce chrono dans nos têtes qu’on les accomplissait, parce qu’il plaçait notre vie dans une sorte de distance et que, tout petits déjà, l’idée d’être nous-mêmes, c’est à dire nous seulement nous terrorisait. Allez comprendre ça, pour ne pas perdre la tête, il me fallait des coups, il me fallait des claques, il fallait que je crève de douleur. Impossible de le dire autrement. Peut-être que je n’aurais jamais dû redouter tout ça ? Je veux dire, peut-être que ce qu’on doit faire doit être fait en ignorant les conséquences ? Sans trembler ? Sans ciller ? Et que tout se serait passé correctement si j’avais juste tracé ma route ? Je leur en faisais voir de toutes les couleurs, c’est vrai, mais à l’époque je n’y pensais même pas car c’est toujours après qu’on s’en souvient, après qu’on fait les stèles et les statues et qu’on pardonne aux êtres comme eux, qui détruisent nos vies mais nous sont si chers malgré tout. Tous les parents attendent qu’on parte, Léo. C’est pas qu’ils nous aiment pas, mais ils veulent des choses impossibles : nous garder et nous abandonner. Ça les détruit. Ils en perdent la tête, se font des trous dans l’estomac ou meurent d’un infarctus dans la cour de leur ferme. Non, je crois que la trahison ne laisse pas de traces et que vous pouvez tromper sans que rien ne se lise sur votre visage, tromper sans que personne en sache rien, tromper encore. Comment se faisait-il que je les aimais encore ? D’où vient cet attachement pour nos bourreaux ? Quel fil nous relie à eux ? Et si c’était toi qui l’avais tué, hein ? je répétais. Si c’était tes mauvaises actions qui l’avaient détruit ? Si tout était lié, Léo ? La lâcheté des uns et la détresse des autres ? Si c’était ça, la vie ? Blesser les autres par nos écarts, par nos errements, par nos bassesses ? Il faut être séparé de ses enfants pour les aimer. Tu comprends ? Plus de carnets de comptes. Plus de stress. Plus de quotas. Juste le bleu, le ciel, le vent, les vagues. On a du temps, fiston. Or on ne peut pas aimer quand on n’a pas de temps. Au fait que la vie peut basculer en quelques secondes, parce que tu n’as plus accès aux mots, que la parole est bloquée en toi et qu’il ne te reste que la violence pour appeler à l’aide. Que le bonheur comme toutes les bonnes choses, se cache. Mais qu’il est dans chaque pas, chaque minuscule seconde et qu’il suffit parfois de fermer les yeux, simplement, pour le trouver. Est libre qui se détermine par le soi seul à agir. Mais dans le fond, rien ne change. Il n’y a pas de destin, sauf celui de demeurer qui vous avez à être. Car vous restez aussi avec votre joie. Dans ce bonheur qui se cache, mais qui est le vôtre depuis toujours. Ce bonheur, même si on savait bien qu’il ne serait pas entier, on décida de le retrouver. On en avait ras-le-bol d’attendre du ciel qu’il se déchire. Alors, on déplaça notre joie où elle aurait sa place. Où il fallait qu’elle soit. Où elle pourrait grandir. Croyez-moi, c’est à peu près la seule chose que vous puissiez faire de votre vie. Cultivez votre joie. Le reste n’a aucune importance. Voilà, je me disais : être séparé, c’est être séparé des tas de fois, pendant des mois et des années, jusqu’à ce que le manque en ait assez et vous laisse peu à peu en paix, si c’est possible. Par où se perdent les visages de ceux qu’on aime ? Où glissent-ils ? Reste-t-il quelque chose, à la fin, quand on arrive au bout ? Ou alors c’est le vide et le silence encore ? Le manque. Votre vie peut avoir mille visages, mille rebonds, vous pouvez naître et mourir tant de fois, naître et mourir encore, l’essentiel ne change pas : vous ne changez pas. Vous restez celui que vous êtes depuis toujours. Le petit garçon qui rêvait d’être une fille, ou la petite fille rêvant d’être un garçon. Retrouvez Nathalie sur son blog |
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