Pour qualifier cette fiction, certains vont vous parler de roman dystopique, d’interprétation libre des vies de Jeanne d’Arc et de Christine (de) Pizan, quelques-uns vont avancer l’argument « fable féministe », tenter même, qui sait, un « manifeste pour tatoueurs et grapheurs». Les plus pessimistes quant à l’avenir de la planète souligneront que l’aspect SF de l’ouvrage est tout au plus un « texte d’anticipation effrayant ». Quels que soient ces commentaires, tous auront un peu raison et un peu tort tant ce que raconte l’Américaine Lidia Yuknavitch se joue des registres.
Il y a tout d’abord Christine, enfermée dans une station spatiale, condamnée à une disparition certaine puisqu’elle approche de ses cinquante ans, l’âge limite pour ce lieu. Dans ce panoptique (le CIEL), elle vit, observe, se révolte et, surtout, graphe sur son corps l’histoire d’une autre femme, Jeanne. L’histoire se situe en 2049, la Terre telle que nous la connaissons a disparu.
La disparition des genres
Christine est un être hybride, femme « augmentée », au corps semblable aux autres « habitants » du ciel, sans appareil génital, sans signe distinctif de genre. Cette femme, rebelle, a osé s’opposer au grand créateur de cet espace de « survie », Jean de Men. Au CIEL, les corps n’ont pas seulement perdu leur caractéristiques sexuelles, mais aussi la capacité de désirer, de fantasmer, de transpirer… Pour Christine, la résistance passe par une réappropriation de son corps pour graver l’Histoire. Celle que Jean de Men veut faire disparaître : Jeanne, brûlée pour avoir combattu jusqu’à l’impensable.
A la voix de Christine répond celle de Jeanne, sur Terre, avant et après le géocataclysme.
Parfois une voix narrative prend le relais.
Ce tricot, imaginé par celle qui enseigne la littérature et le féminisme à l’Université de l’Oregon, semble répondre à Margaret Atwood (« The Handmaid’s Tale ») et Doris Lessing (« Shikasta ») pour le versant féministe et le questionnement sur le genre. L’auteure s’interroge également sur des thèmes comme l’écologie, la sexualité, le désir physique et l’amour, s’intéresse à l’astrophysique, à la physique quantique…
La terre est devenue un cimetière
Ses récits de combats sanglants, de scènes de mutilation volontaire du corps font du roman de Jeanne une lecture parfois difficile. Il n’y a pas beaucoup d’espaces où reprendre son souffle dans ce troisième roman de Lidia dont on ressort exsangue.
Quel espoir quand « la Terre est devenue un cimetière », quand l’humanité et sa fin sont portées dans un corps de femme ? L’art et la littérature peuvent-ils être une réponse ?
Foisonnant, inclassable, hypnotique, malin, dérangeant, ce « Roman de Jeanne » envoûte, agace parfois, et passionne !