Lionel Duroy est infatigable. Il continue de ne pas se taire. Il s’évertue à tout écrire, à se livrer sans concession, à se mettre à nu, qu’importe si ses neuf frères et sÅ“urs ne lui adressent plus la parole et si son fils aîné lui a intenté un procès*. « Il faut payer le prix des ruptures pour parvenir à prendre en main sa vie » : plus que le roman de l’amour, c’est d’abord le récit de l’interdit. Trois ans après le succès de « Chagrins », Lionel Duroy renoue avec l’autobiographie et poursuit son questionnement autour de la famille et du couple, pour dire toutes ces choses que ses proches refusent formellement d’entendre.
Mais pour nous qui ne faisons pas partie de son cercle intime, on lit la première page et il est déjà trop tard. Le piège se referme. La magie opère. Le train est lancé. Augustin vient de se séparer d’Esther, la deuxième femme de sa vie. Esther, à qui il voue une adoration sans borne, et qu’il a choisie après sa rupture avec Cécile, sa première épouse. Il revient sur vingt ans de vie commune et sur ce qui les a fait sombrer. Au fur et à mesure de l’analyse de sa passion dévorante pour cette jolie brune au visage grave, il remonte jusqu’à son amour pour Cécile, avec qui il a eu deux enfants. Pendant plus de 400 pages, l’auteur scrute les sentiments à la loupe, décortique et remue maladivement le passé. Car c’est cela, la vie, pour lui : essayer de comprendre ce qui nous arrive.
À travers le personnage d’Esther, mystérieux et ambivalent, Lionel Duroy pose surtout cette question chimérique : « qu’est-ce qu’aimer ? ». Il explore le couple, le rôle que l’on y joue et la place que l’on veut bien donner à l’autre. Plus que le récit d’une séparation, « Vertiges » est une perpétuelle introspection : pourquoi une relation amoureuse devient-elle destructrice ? Dans la veine de « Chagrins », l’auteur évoque aussi la lourde enfance qu’il traîne derrière lui comme un boulet, la sourde haine qu’il voue à sa mère folle et terrifiante, et la honte de son père dévoué mais méprisé. Il dit ces gestes quasi machinaux que l’on mime instinctivement, et qui sont ceux de nos parents, ces situations semblables en tous points à celles qu’ils ont eux-même connues, trente ans plus tôt.
Et chaque moment compte. Les paroles sont sacrées, les regards sont à encadrer, les attitudes à garder sous verre. Enfin de vraies larmes. Enfin un homme qui geint, s’égare, se lamente et gueule sa douleur, dans une sincérité absolue et un style impeccablement maîtrisé, où narration et dialogue se mêlent, collant parfaitement au cheminement de la pensée. On retrouve un auteur pour qui écrire tourne à l’obsession, toujours en proie au doute, à une souffrance extrême. On étouffe un peu de cette lecture, dont les mots, ceux d’Esther notamment -« Dors bien mon chéri, écris bien mon chéri, repose-toi mon chéri »- résonnent encore, longtemps après avoir refermé la dernière page. « Vertiges » transpire l’émotion. Il transporte, ébranle et désarçonne. On en ressort exténué, mais ravi.
* La maison d’édition Robert Laffont a été condamnée, en mai dernier, à verser 10 000 euros de dommages et intérêts au fils de Lionel Duroy pour atteinte à sa vie privée. Dans « Colères » (Julliard, 2011), l’écrivain évoque une relation difficile avec Raphaël Duroy, (David dans le roman).