Voilà une belle occasion de faire un incroyable voyage, une grande expédition que nous propose l’écrivain canadien Guy Vanderhaegue avec son livre « La Dernière Traversée ». Je le dis tout de suite, ce fut un gros coup de cœur.
Ce livre, avec ses 461 pages bien denses, nous fait suivre, en 1871, deux jeunes frères anglais, que leur père envoie en Amérique pour retrouver leur autre frère, Simon, qui n’a plus donné de ses nouvelles depuis qu’il était parti avec un prédicateur douteux.
Il s’agit de Charles Gaunt (surtout peintre) qui, en apprenant la mort de Jerry Potts (lui ayant servi de guide en Amérique), se remémore son voyage avec son frère aîné Addington, pour retrouver son jumeau, Simon. Il lit dans « The Macleod Gazette : MORT DE JERRY POTTS. UNE FIGURE HISTORIQUE DISPARAÎT. (…) Jerry Potts est mort, mais son nom vit et vivra toujours. » (p.19)
Leur père, qui adorait Simon par-dessus tout, donne l’ordre de le ramener et ils vont partir dans les territoires sauvages du Nord-Ouest de l’Amérique. Chemin faisant, ils rencontrent Lucy Stoveall, désespérée par la mort de sa sœur Madge et qui, voulant la venger, se joint à eux en se rendant très utile. Elle les aidera à la perfection en ne se plaignant jamais.
Mais je voudrais retranscrire quelques lignes de la préface de Annie Proulx qui présente le livre ainsi :
« Rarement les lecteurs avides d’aujourd’hui se voient invités à un tel festin livresque. « La Dernière Traversée » de Guy Vanderhaegue est parallèle à un rijstafel composé de plats fortement épicés. (…) Aventures picaresques, intrigues, rebondissements, histoire et études de la nature humaine sont racontés dans un style brillant …
L’histoire est construite autour de trois, quatre ou cinq quêtes qui se croisent et s’entrecroisent.
Mais il y a davantage que ces différentes quêtes dans « La Dernière Traversée ». Nous sommes sans cesse plongés dans les conflits entre les ethnies, les classes sociales, les clans et les familles. Jerry Potts, symbole de ces conflits, est moitié écossais, moitié indien, et il oscille tout le temps entre les deux mondes, confronté à un drame insoluble, « lui qui désirait être les deux. » » (p.15)
Si j’avais recopié les deux pages de cette belle préface, ma critique aurait été plus facilement faite et de brillante façon.
Mais il faut bien que je vous parle un peu de ce que j’ai remarqué, vu et ressenti personnellement :
Chaque chapitre porte le nom de la personne qui raconte les faits. Le récit alterne sur des moments passés, présents et c’est une extraordinaire aventure.
Long est le chemin fait pour tenter de retrouver Simon. Pour cela, Charles engage un homme de terrain : « Cet homme a dans la tête une carte de chaque cours d’eau, de chaque colline, de chaque ravine, de chaque bouton sur le cul de la prairie. Et surtout, une fois que vous entrez en territoire Blackfoot, il est votre sauf-conduit. (…) Les Blackfoots l’appellent Bear Child, Enfant Ours et c’est bien plus qu’un nom quelconque, c’est un titre honorifique. Ils le lui ont donné après une grande bataille contre les Crows. Si vous êtes avec Jerry Potts, les Blackfoots ne toucheront pas un cheveu de vos têtes. » (p.115)
On finit par apprendre que Simon, sous la mauvaise influence du pasteur, pas très net, Witherspoon, appartient à l’Église Chrétienne d’Israël. « Seuls ceux qui ont été baptisés dans l’Eau du Nouveau Monde sont autorisés à venir.
Pour ce baptême, on utilise de l’eau venue d’Amérique du Nord. (…) Les Peaux-Rouges sont les descendants des Tribus perdues d’Israël. Ils considèrent l’Amérique du Nord comme la Terre Sainte cachée dont les eaux sont sacrées. » (p.261)
Arrivant dans un village, les voyageurs le découvrent décimé par la maladie des « croûtes blanches » (la grande variole).
Pendant tout ce périple, Lucy reste très discrète mais efficace. Son caractère est bien trempé.
Mais le découragement finit par se faire sentir pour Charles qui pense au retour inexorable sans avoir retrouvé Simon et s’imaginant devoir annoncer cette mauvaise nouvelle à son père.
Pour le retour, il va falloir faire route vers Fort Edmonton…
Mais de mon côté, je dois passer sur une foule de détails sur cette expédition dans une nature sauvage et grandiose, des paysages qui meurtrissent également les corps et les esprits.
Les destins des hommes et des femmes que tout séparait, se retrouvent liés : il faut citer Curtis Straw, un homme de devoir – la belle et courageuse Lucy Stoveall (dont j’ai déjà parlé plus haut). L’auteur arrive à démontrer une certaine poésie, par exemple avec des descriptions de superbes nuits étoilées.
Je me vois tout de même obligée d’évoquer une grande bataille opposant Mountain Chief, son fils Big Brave et ses hommes, des Blackfoots, des Crees, des Assiniboires : une terrible bataille au cours de laquelle apparaît un homme bien particulier « Yellow Hair » (eh oui, le voilà !). Et ô stupéfaction, « Yellow Hair » entonne un chant dans la langue des Blancs !
Mais ce personnage (dont on a deviné l’identité) vit avec « le bote » dans un grand tipi, le plus grand de tous, « Le Tipi du Soleil ». Le « bote » apparaît : « grand, décharné, vêtu comme la Reine de Saba dans toute sa gloire. » Est-ce un homme ? Est-ce une femme ? Il semblerait que « Yellow Hair » et ce « bote » partagent une vie commune et qu’ils aient un enfant …. Une intrigue de plus.
Là s’arrête ma description.
J’en ai pas mal raconté (juste ce qu’il fallait) mais il ne faut pas en dévoiler plus car il y a encore beaucoup de découvertes à faire, de grandes surprises.
C’est un récit passionnant, une immense fresque historique avec la sauvagerie de cette époque – des intrigues qui ne laissent aucun répit – des rebondissements à foison. Bref, un roman époustouflant d’un écrivain considéré comme l’un des plus importants de la littérature canadienne. Je me dois d’ajouter qu’à la lecture, j’ai eu l’impression de voir un film magnifique, cela grâce au talent de narrateur de Guy Vanderhaeghe. On y évoque Crazy Horse, Sitting Bull…
C’est encore un livre pour lequel j’ai rempli des pages et des pages de notes que je ne peux pas dévoiler. Il me faut laisser la surprise de la découverte au futur lecteur éventuel.
Cet ouvrage qui a « traversé » la France depuis le dernier Festival America, malgré sa densité se lit très facilement pour peu que l’on veuille bien monter en selle pour parcourir le territoire Indien afin d’ effectuer cette dure et terrible Traversée. Oui, c’est bien la dernière et vous verrez pourquoi.
Je mets cinq étoiles à ce roman et si j’avais pu, j’en aurais mis plus.
D’après Richard Ford, l’écrivain est : « Tout simplement un magnifique écrivain. »
Pour The Chicago Tribune : « A placer aux côtés de Cormac McCarthy et Jim Harrison. »
Et je vous fais grâce d’autres observations, toutes plus élogieuses les unes que les autres.