Pourquoi un policier franchit-il un jour la ligne rouge, en se laissant acheter et en finissant par se comporter en trafiquant et en tueur ? En se posant la question dans son dernier roman, « Corruption », Don Winslow bouleverse la règle selon laquelle l’intérêt d’un polar tient à la qualité du méchant. Ici, tout le monde en croque, des policiers aux élus, en passant par les juges, avocats, procureurs, promoteurs. Mais le sergent Denny Malone, chef d’une unité d’élite habitué à nettoyer les rues de Harlem à coups de Doc Martens à coque renforcée, ne se satisfait plus des petites enveloppes. Avec ses adjoints, ce flic de choc met de côté une grosse saisie d’héroïne qu’il compte revendre. Assurance sur l’avenir, sur le confort des épouses, les études des enfants. Le début d’un engrenage infernal.
Alliant la précision d’un documentaire sur les rues de New York au souffle d’une tragédie antique, l’auteur montre la dérive des derniers remparts d’une société malade, dépressive, suicidaire. Des policiers qui lâchent prise sous le poids de la violence, du cynisme, des pressions en tout genre, dans une ville où chaque nouveau gratte-ciel trahit une opération de blanchiment. Avec cette fiction vertigineuse, intense, crépusculaire, Don Winslow ne livre aucun message, sinon donner un contexte aux multiples morts de jeunes noirs abattus par des policiers blancs. Chef-d’œuvre du genre comme les premiers volets de sa trilogie du narcotrafic, « La Griffe du chien » (2005) et « Cartel » (2015), ce livre s’expose à un seul reproche : faire paraître bien fade toute autre lecture à venir.
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