Une ville à soi
Li Chi

Traduit du chinois par Hang Ling et Vanessa Teilhet
Actes Sud Editions
romans, nouvelles
novembre 2018
190 p.  16,50 €
ebook avec DRM 11,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu

Quand les chinoises s’éveilleront

A travers l’amitié de deux femmes que tout oppose, Chi Li raconte la mutation des mentalités chinoises.

La lectrice occidentale que je suis s’est plongée dans cette lecture avec une ignorance crasse des subtilités des mœurs et coutumes de la société chinoise actuelle. Force est de constater que les traditions ont la vie dure et que les jeunes couples d’aujourd’hui construisent leur vie commune sur le modèle de leurs ancêtres.
Sauf que.
Sauf que, à petits pas, la modernité s’invite dans les maisons. Quand Fengchun se rend compte que son époux s’éloigne de plus en plus d’elle et ne participe plus à l’éducation de leur fils unique, elle décide de s’émanciper en demandant du travail à sa voisine Mijie, maîtresse femme, ancienne membre de l’armée chinoise et propriétaire d’un petit commerce. Fengchun n’est pas à son premier emploi puisqu’elle occupait un poste administratif das une tour commerciale. Mais depuis son mariage, elle s’est rangée au nombre des femmes au foyer comme le veut la tradition. A force, elle a eu le sentiment d’être devenu un meuble aux yeux de son mari qui, dès qu’il le peut, fuit le domicile conjugal.
« Tout cela était d’une telle évidence : au début, les jeunes gens poussaient le landau à deux, se battaient pour prendre le bébé en photo (…) Mais petit à petit Zhou Yuan s’était fait moins présent et Fengchun se retrouvait plus souvent seul avec leur enfant. Et finalement, il n’était resté plus qu’elle ».
Mijie accepte et ne regrette pas son choix car sa voisine s’avère être une incroyable vendeuse et cireuse de chaussures. Elle-même veuve, elle a connu les aléas du couple et vit désormais avec sa vielle belle-mère, la bonté incarnée, et son fils de seize ans. Simplement, quand elle s’aperçoit un jour que Fengchun flirte avec un client, elle craint la réaction des voisins et des habitants de Wuhan et se demande si elle ne doit pas la licencier.

Pourtant les deux femmes s’apprécient beaucoup. Aux yeux de Mijie, Fengchun incarne cette nouvelle génération qui n’hésite pas à outrepasser les conventions pour obtenir un peu plus de libertés et s’épanouir.
« La docilité et la candeur de Fengchun, sa façon d’endurer en silence l’indifférence de son mari et de sa belle-famille, avaient peu à peu suscité chez Mijie une affection sincère ».
Tout ce que Mijie n’a pas réussi à faire du vivant de son mari.
Alors, la jeune femme au cours d’une nuit alcoolisée avec sa patronne, va se dévoiler et toutes deux vont faire le serment d’être des « âmes sœurs » et ainsi être d’une loyauté sans bornes l’une envers l’autre.
« Quand la parole des femmes se libère, c’est comme des pigeons dont on aurait ouvert la cage en grand nombre et qui s’envoleraient en nuées très haut dans le ciel, puis qui feraient soudainement demi-tour avant de tournoyer autour d’un point fixe : elles reviennent toujours au même sujet, la vie ».
La ville de Wuhan sert de décor à ce roman qui décrit toute la complexité des mutations sociales en Chine. L’évolution des mentalités ne se fait pas sans heurts et on se rend compte qu’il faut du temps pour que les changements soient acceptés. Paradoxalement, c’est le personnage en retrait de la belle-mère, vieille femme discrète et bonne, qui va permettre à Mijie de comprendre et accepter.
Côté écriture, on s’accommodera aisément de quelques réflexions ampoulées, de quelques métaphores animales simples. Nous sommes aux antipodes d’un point de vue occidental. De nouvelles mœurs émergent et la littérature chinoise en est un témoin à la fois naïf et avide d’en faire un portrait sensible.

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