Ça se passe quelque part en Afrique subsaharienne, pendant la traite des esclaves. 16e, 17e, 18e siècle ? Peu importe : le clan des Mulongo n’applique pas le calendrier géorgien. Ils sont une centaine d’hommes et de femmes vivant à l’intérieur des terres, en harmonie avec la nature et la mort. Une communauté solide, régie par des règles et des rites qui font la part belle à la mémoire des ancêtres. Un jour, un incendie se déclare et dix hommes disparaissent. Les instances chargées de communiquer avec l’au-delà sont en alerte. Si un esprit malfaisant avait fait main basse sur les hommes ? Mais la vérité est ailleurs. Appelés par la voix intérieure de « ceux qui n’ont pas été retrouvés », une poignée de Mulongo, le chef du clan et trois mères courageuses, s’aventurent hors de leurs terres pour mener une enquête à mi-chemin entre l’initiation spirituelle et l’investigation. Et voilà où les conduit leur expédition : sur ordre d’une reine avide de pacotilles, leurs puissants voisins, les Bwele, ont vendu les dix hommes à des « étrangers aux pieds de poule », venus par bateaux depuis un ailleurs indéfinissable. On sait aujourd’hui très bien définir le sort qui leur fut réservé.
Dans son septième roman, Léonora Miano tente de raconter la traite négrière du point de vue des Africains. Comment ne pas saluer cette intention ? Donner la voix à ceux que le fer a voulu bannir de la civilisation pendant si longtemps, mettre en lumière la perception non raciale que les Noirs eurent de leurs agresseurs blancs, en un mot, renverser la lorgnette : voilà la vertu du roman de Léonora Miano. En adoptant les modes de perception des Mulongo, le désintérêt pour la géographie, la passion pour l’interaction de l’homme avec la nature, la conception d’un réel inaccessible à la conscience éveillée, l’écrivaine redonne la dignité à une culture injustement malmenée par ses représentations occidentales. Mais… Mais il manque le reste.
Le reste, c’est-à-dire une écriture, une histoire, une voix. Léonora Miano souhaite faire entendre une culture opprimée mais elle tombe dans le piège de l’oppresseur. À la lecture de « La Saison de l’ombre », on a l’impression d’avoir mis la main sur une dissertation d’Hypokhâgne. Le style de Miano porte les stigmates d’une langue corsetée, émaillée de phrases préconstruites et de clichés littéraires. D’adjectifs tarabiscotés et de formulations épaisses. À l’image des dialogues, enjeu primordial d’une œuvre qui, rappelons-le, voudrait « redonner voix » aux victimes de la traite des esclaves, de l’effroyable ethnocentrisme des puissances européennes. Pourquoi, dès lors, faire parler ses personnages en italique, dans un poussiéreux français d’académicien ?
Léonora Miano non seulement passe à côté de ce qui aurait pu faire la force de son texte mais elle semble aussi le trahir, ce qui est plus embêtant. Et on ne parle pas de la narration, véritable défaite de ce roman opaque qui fonctionne en circuit fermé. Fermé au lecteur, ennuyé dès la première page, mais, surtout, fermé aux histoires, à la grande et à la petite, qui traversent le livre comme des coquilles vides, défilant sous nos yeux lassés sans jamais susciter notre engagement d’humain …