Terre des livres (Lyon)
illustration Brigitte Lannaud Levy (Dr.)
« Terre des livres » comme en écho au chef d’œuvre de Saint-Exupéry « Terre des hommes ». Voilà une terre qui ne demande qu’à être foulée pour tous les passionnés de lecture. Poussez la porte de cette « petite librairie débordante » comme elle se présente à tous sur son site internet, et un monde s’offre à vous. Il est vrai qu’elle a bien débordé de sa spécialisation d’origine, celle du monde arabe. Depuis douze ans elle s’est ouverte à tous les continents et aux lecteurs de tous âges. Car son ambition première est de se doter de l’offre la plus large possible pour répondre à tous les goûts et toutes les tranches d’âge. Elle n’en renie néanmoins pas ses origines, sa terre natale pourrait–on dire, et possède un joli fonds relatif au Maghreb, à la littérature arabe et des pays d’Afrique. Pour satisfaire les budgets plus serrés et les chineurs, elle propose à l’étage 10.000 ouvrages d’occasion. Une aubaine pour tous les étudiants des universités Lyon 2 et 3 qui sont à deux pas, dans ce quartier métissé et populaire de la Guillotière, le lieu qui monte à Lyon. L’équipe très dynamique propose en moyenne deux rencontres par semaine. En tant que plus ancienne des lieux, c’est Sarah Gastel libraire, qui nous reçoit aujourd’hui pour nous confier ses coups de cœur littéraires.
Quel roman nous conseillez-vous ?
« L’île aux troncs » de Michel Jullien (Verdier). C’est une magnifique surprise, qui raconte l’histoire dans les années 50 de ces soldats de l’armée rouge mutilés, estropiés, anciens héros déchus de la guerre 40 voués à la mendicité et déportés sur l’île de Valaam aux confins de la Russie. On les appelle Samovary, car leurs corps suppliciés ressemblent à l’ustensile pour faire le thé. On suit deux pensionnaires de l’île, devenus amis qui vouent la même admiration à une aviatrice Natalia Mekline et dont ils se remémorent les exploits.
Un roman aussi absurde que beau porté par une langue époustouflante
Et du côté de la littérature étrangère ?
« Mais leurs yeux dardaient sur Dieu » de Zora Neale Hurston (Zulma). J’ai pris une grosse claque en le lisant. C’est un monument littéraire publié en 1937 aux États-Unis et devenu un texte culte. L’histoire de Janie, une Afro-américaine, électron libre aussi entière que pure qui a vécu plusieurs vies à travers trois mariages dans l’Amérique des années 30. Elle se raconte dans une langue à la mélopée heurtée, sidérante. La langue est étonnante et captivante. C’est un livre magnifique.
Y a-t-il un premier roman qui vous a marqué ?
« Au loin » de Hernàn Diaz (Delcourt littérature) Un jeune paysan suédois débarque en Californie à la recherche de son frère et entreprend la traversée des USA à contre-sens des pionniers qui se ruent vers l’ouest. J’aime le genre western, qui là est totalement réinventé par son onirisme, son surréalisme. C’est une sorte de Eastern , un texte qui illustre de façon magistrale la solitude et pose la question de l’immigration. Très impressionnant.
À qui auriez-vous donné le Goncourt ?
« Arcadie » de Emmanuelle Bayamack-Tam (POL). Une auteure que j’ai découverte récemment et je suis bluffée par son talent, son univers, sa singularité.
Quel est le livre le plus emblématique de la librairie que vous défendez avec ferveur ?
Il y en a deux : « Sublimes paroles et idioties de Nars Eddin Hodja » (Phebus) personnage mythique de la culture musulmane, du bassin méditerranéen. Ses textes dégagent une grande sagesse. Il est toujours représenté sur un âne qu’il chevauche à l’envers. Ses histoires transmises oralement ont été retranscrites et offrent des contes sentencieux des plus savoureux. Et il y a aussi « King Kong théorie » de Virginie Despentes (Livre de poche). Un manifeste féministe, moderne et ravageur en lien avec ce que l’on défend et met en lumière à la librairie.
Quel livre vous êtes-vous promis de lire ?
Naguib Mahfouz qui est le premier prix Nobel de littérature arabophone et que je n’ai pas lu. Mais comme je pars en Égypte prochainement, je vais me plonger dans la trilogie du Caire.
Une brève de librairie
Un jour alors qu’on faisait une pause déjeuner et qu’on avait fermé la librairie, à notre retour on découvre que l’on avait enfermé un de nos clients à l’étage. Plongé dans ses ouvrages, il ne s’était même pas rendu compte qu’il était seul et qui plus est comme prisonnier des lieux. Mais à y réfléchir quel grand lecteur ne rêverait pas un jour de passer toute une nuit enfermé au milieu de tant de livres ?
Propos recueillis par Brigitte Lannaud Levy
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Terre des livres
86 rue de Marseille
69007 Lyon
04 78 72 84 22