L'Enchanteur (1)
Stephen CARRIÈRE

Pocket Jeunesse
janvier 2019
416 p.  18,50 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
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coup de coeur

Suspendez votre crédulité !

Stan, Daniel, Moh, Jenny et David. Cinq adolescents liés par un pacte autour de Stan, l’enchanteur, embobineur de première qui parvient à tirer n’importe qui de n’importe quel mauvais pas en échange d’un service à venir, resserrés autour de Daniel, atteint d’un cancer et que l’on sait condamner dès les premières pages, aux exploits racontés par Moh, narrateurs férus de Shakespeare et qui met en scène Songe d’une Nuit d’Eté, mis en couleurs par David, l’artiste de la bande, entourés par la puissance protectrice de Jenny, fille de boxeur.

Stephen Carrière met en scène un groupe hétérogène et hétéroclite. Inséparables par l’amitié qui les lie malgré quelques tensions au fil du récit, ils n’en sont pas mois tous très différents. Le groupe est un groupe multicolore : un groupe très black, blanc, beur, feuj et ruskof. Cela aurait pu être artificiel mais Stephen Carrière en joue admirablement en mettant en scène des problématiques liées à la fois à l’adolescence de ses personnages et à leurs « origines », sans en faire pour autant des archétypes.

On pourrait réduire le thème du livre au racisme ambiant qui combattent le groupe d’amis mais ce serait par trop réducteur. Stephen Carrière s’attaque dans son récit à toutes les formes de haines et de rejet de l’autre. C’est sur cette haine tous azimuts que grandit la force fantastique et maléfique qui semble prendre possession de la ville où habitent les jeunes héros et, à force de grandir et de se renforcer de ces haines rampantes, sourdes, de prendre corps et de perpétrer des actes de plus en plus violents, le tout ourdi par un marionnettiste malfaisant on ne peut plus humain. En donnant à ces haines une réalité physique, aussi fantastique soit-elle, jouant avec une figure maléfique du Golem juif, Stephen Carrière donne chair au combat purement moral qu’on doit mener, dans la vraie vie, contre celles-ci.

Stephen Carrière mélange allègrement, mais toujours de manière parfaitement crédible et argumentée, réalité et fantastique, reliant les agissements des uns et des autres dans un vaste plan d’ensemble visant à semer le chaos et le désordre que les cinq amis vont tenter, au nom de leur amitié pour Daniel, condamné à terme, de combattre en s’opposant autant aux être humains qui veulent semer la graine de la révolution violente qu’aux forces surnaturelles qui semblent se liguer contre leur environnement. Ils feront de l’inévitable échéance qui attend Daniel l’étincelle de vie et d’avenir qui contrecarrera tout le reste.

Le récit de Stephen Carrière oscille entre farce et tragédie, comme le fait le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare. Sous la plume de Stephen Carrière, Moh, le narrateur et metteur en scène, fait systématiquement le lien entre ce qu’il raconte et la pièce de Shakespeare, tout comme le lecteur ne peut que faire le lien entre le récit de Stephen Carrière et la pièce. Il y a, derrière une histoire qui emporte tout sur son passage, un vrai travail de construction du récit, servi, qui plus est, par un style au cordeau, une écriture limpide et émouvante (sans grandiloquence).

Stephen Carrière, par ailleurs éditeur aux éditions Anne Carrière et dans le collectif Anne Carrière qui regroupe quelques unes de mes maisons d’édition préférées, invite le lecteur à « suspendre sa crédulité » non pas pour accepter ou croire n’importe quoi qui ne serait pas crédible mais pour garder un esprit ouvert et à l’écoute du fantastique qui peuple notre monde. Notre monde a besoin de cette part de fantaisie, de fantastique, de rêve, donnez-lui le nom que vous voulez, non seulement pour être vivable mais aussi pour simplement exister. Stephen Carrière est un de ceux qui peuvent nous la montrer.

Ce roman est un vrai régal qui n’est pas destiné qu’aux adolescents, à mon sens, et qui plaira, a minima, aux adultes qui seraient restés d’éternels adolescents.

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