« Mourir fut le dernier acte magistral d’Elayn pour se délivrer (…) La femme que ma mère était, cette femme douée d’autonomie et de raison, se révèle à moi, comme ça, tout d’un coup… »
Pour combattre cette sidération qui fait suite à l’annonce du décès de sa mère, la romancière Nikki Gemmel (auteure de « La mariée mise à nu » et de « Plaisir ») s’en remet l’écriture « mon moyen d’ancrage dans le tourbillon de la vie ».
Ce récit, redoutable de lucidité et d’émotions mêlées, ne donne pas seulement à partager une expérience de deuil atypique : tous les parents ne choisissent pas de se suicider…et parmi ces derniers, tous n’ont pas des enfants écrivains ayant à cœur de transformer cet épisode tragique en matière littéraire. Ce journal de deuil est aussi un texte romanesque bluffant dont l’héroïne, Elayn, se découvre dans les souvenirs et les non-dits, dans ces multiples découvertes posthumes.
Il y a dans ce livre des réflexions grinçantes sur les relations mère-fille. « Elayn savait qu’elle se trouvait loin, en sixième position, dans les priorités de mon monde, après mes enfants et mon mari. Je ne l’ai jamais mise sur un piédestal qui lui aurait donné l’impression d’être spéciale » confie ainsi Nikki. Sa relation avec sa mère n’a jamais été simple. Elle fut même conflictuelle. Jusqu’à pousser Nikki à l’exil, un temps, pour pouvoir vivre sa vie d’écrivain. Quelques-uns de ces conflits sont évoqués au gré des souvenirs qui remontent et se télescopent après le décès d’Elayn.
De l’annonce de la nouvelle à l’organisation des funérailles, le déroulé des semaines qui s’ensuivirent, les questionnements, multiples (dire le suicide ou le taire à ses enfants, le comprendre…ou le nier) : Nikki écrit tout, sans filtre, ou presque.
« Les mères se sacrifient tellement pour leurs enfants et reçoivent si peu de reconnaissance en retour. Le type de mère que nous devenons dépend du fait que nous acceptons, ou non, cette vérité. Les mères sont expertes en capitulation » s’étonne Nikki après avoir découvert que, loin des critiques qu’elle pouvait formuler frontalement à son égard, sa mère collectionnait les coupures de presse parlant d’elle.
« Avec ses petits-enfants, elle faisait preuve d’un amour démonstratif dont j’avais rarement bénéficié », tacle-t-elle… mais s’interrogeant aussi, Elayn aurait peut-être mérité plus d’attention. Plus de compréhension. Il n’est pas tant question de culpabilité, ou de réécrire leur relation, que de tenter de la mettre en mots avec honnêteté : « en même temps que la perte, il y a ce sentiment de libération. Quant aux silences. Aux agressions. A l’incertitude constante et épuisante de ne jamais savoir ce qui vous attend : un amour démesuré ou son dangereux contraire. (…) la terrible vérité : on fait souffrir ceux qu’on aime le plus parce qu’on les connaît trop bien. On leur fait mal avec une efficacité vicieuse »
Le choix de sa mère de mettre fin à un quotidien de souffrances, victime de douleurs chroniques suite à une opération chirurgicale foireuse, sans informer quiconque ou demander plus d’attention est douloureux et fait débat. D’autant que Nikki s’en ouvre à un public plus large que sa famille. Une partie de ce récit reprend quelques-uns des échanges que la romancière a eus avec des lecteurs ayant choisi de lui écrire, de partager leurs propres questionnements sur « le choix d’une fin de vie digne », comme Helena, une inconnue que Nikki choisit de rencontrer. Afin de continuer à comprendre, à questionner…
« Je me suis fait renverser par la vie à tant de reprises qu’il m’est impossible de compter toutes les plaques d’immatriculation » confesse Nikki. Une observation qui aurait tout aussi bien pu convenir à Elayn.