Après « Sale temps pour les braves », voici le deuxième roman que publia Don Carpenter en 1967, l’un de ses meilleurs, dans la lignée du premier. Grâce aux éditions Cambourakis, l’œuvre de ce grand écrivain de la scène californienne nous parvient enfin. Désespéré, sombre et bouleversant, « Clair-obscur » est un requiem pour les âmes seules et les rêves perdus d’une Amérique engluée dans ses déterminismes.
Irwin Semple a passé dix-huit ans dans un asile d’aliénés où il a échappé de peu à la lobotomie. On ne sait pas d’emblée ce qui l’a amené là, il ne semble « ni fou ni idiot », même s’il s’exprime par grognements ou gestes véhéments. Au fil des années, sa violence s’est calmée, on le considère désormais comme un simple d’esprit qui doit réapprendre à vivre en société. Dans la narration qui alterne présent et passé, on apprend que Semple a eu une enfance difficile, élevé par ses grands-parents dans une famille d’alcooliques. C’est la tête de turc du lycée, où il subit moqueries et humiliations sans se plaindre, prêt à tout pour faire partie du groupe d’Harold Hunt, le populaire chef de bande qui joue les caïds. En vain… jusqu’au drame qui l’isole de la société jusqu’à ses trente-cinq ans, où il sort de l’hôpital psychiatrique, seul, sans personne qui l’attend. Peu à peu une nouvelle routine s’installe : le centre de réadaptation, le travail à l’usine, la cafétéria du coin, le cinéma le week-end. Semple réussit même à nouer quelques relations. Mais un jour, il tombe par hasard sur Harold Hunt qu’il n’avait pas revu depuis le lycée, et c’est un choc. Le passé le rattrape et son ancienne fascination aussi. Entre vengeance et rédemption, Semple est pris au piège de ses propres pulsions. Le roman est cruel, triste, mais il y a quelque chose de désespérément humain, cette solitude qui touche tous les personnages, traités avec égalité et nuance jusque dans leurs fêlures intimes, dans une prose magnifique rendue par la traduction de Céline Leroy.