l e c r i t i q u e i n v i t é Bruno Corty (Le Figaro) a choisi « Je suis revenu pour lui. » Tels sont les premiers mots énigmatiques des « Variations sentimentales », le nouveau roman d’André Aciman, écrivain né en Égypte en 1951, d’origine italo-turque, de culture française écrivant en anglais. Professeur à la City University de New York, ce spécialiste de Proust a connu un moment la gloire en 2017 avec l’adaptation au cinéma de son roman « Appelle-moi par ton nom » par le tandem James Ivory-Luca Guadagnino, sous le titre « Call Me by Your Name ». « Je suis revenu pour lui », c’est donc la phrase qui s’imprime dans la tête de Paul, vingt ans, lorsqu’il revient sur une petite île italienne où il vécut avec ses parents. Le lecteur a à peine le temps de s’interroger sur ce « lui » (est-ce l’enfant qu’il fut, est-ce son père ?) que l’auteur révèle qu’il s’agit d’un certain Giovanni, un menuisier qui travaillait à l’occasion pour ses parents. Un garçon plus âgé dont Paul était tombé amoureux fou et qui, s’il devina les sentiments de son cadet, ne leur permit jamais de s’épanouir. Paul et ses parents ont quitté les lieux, la maison a brûlé et Nanni a disparu. Sur l’île, les choses ont peu changé, les gens toujours réservés et Paul n’est pas vraiment le bienvenu. Il aura des réponses à ses questions mais sa vie en sera à jamais affectée. On découvre Paul des années plus tard à New York, concentré sur une autre enquête qui le rend fou. Il s’est mis en tête que sa compagne, Maud, le trompe avec un journaliste israélien. Sa jalousie est obsessionnelle. Il faudra un dîner mondain pour que ses certitudes s’effondrent et qu’il puisse passer à autre chose. À un autre amour. De Nanni à Maud, de Maud au tennisman Manfred, de Manfred à une vieille copine d’études, Chloé, de Chloé à la jeune musicologue Heidi, André Aciman dévide le fil d’une existence compliquée où un être émotionnellement instable, Paul, croit toujours avoir trouvé l’amour avec un <A> mais se montre incapable de le conserver. Comme si la trahison initiale de son enfance empêchait tout nouveau sentiment amoureux de s’épanouir. Comme si la fuite était la seule issue à l’amour. Paul est-il gay, hétéro, bisexuel ? Ni Paul ni ses différents conjoints ne se posent la question. Ce qu’analyse avec une finesse remarquable le romancier, ce sont les questions que son personnage se pose face à l’autre, homme ou femme, ses motivations, ses désirs, la possibilité d’un avenir commun. « Nous n’étions ni amis, ni étrangers, ni amants, juste hésitant comme je l’étais moi-même et comme j’aimais penser qu’elle l’était, chacun bénissant le silence de l’autre… » Entre deux amours, Paul déprime. Et puis il suffit d’un rien, d’un regard, d’un sourire, pour que la machine à désirer se remette en branle, que ses sens s’affolent, que sa raison s’égare. La peur de l’échec le paralyse : « Quand je suis avec vous, j’ai l’impression que je pourrais prendre ce que d’autres appellent ma vie et faire qu’elle ne soit plus face au mur […]. Je contemple ma vie et voudrais effacer toutes les erreurs, toutes les déceptions, tourner la page, renverser la table, remonter le temps. Je veux donner un vrai visage à mon existence, pas cette morne apparence que j’arbore depuis si longtemps. Alors pourquoi suis-je incapable de vous parler maintenant ? » Finalement, c’est peut-être Manfred, l’amour numéro 3, qui formulera le plus juste diagnostic à la maladie de Paul : «Tu cherches toujours quelque chose qui n’existe pas. » Bruno Corty
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