Lors du Festival Étonnants Voyageurs, j’ai surpris Gaëlle Josse devant un stand, contemplant ce petit livre… Elle s’est penchée vers la libraire et lui a dit : « Ce texte est une merveille. »
A peine venait-elle de reposer ledit exemplaire que nous étions deux indélicates observatrices à nous jeter sur les deux exemplaires qui restaient : Le petit veilleur (jamais entendu parler) de Benoît Ress (ah, si ! j’avais lu en 2017 L’Anglais Volant publié chez Quidam).
Entre nous, heureusement que Gaëlle Josse n’en a pas désigné une dizaine du bout du doigt… je crois bien que j’aurais craqué !
Alors, ce petit veilleur ? Le conseil de Gaëlle Josse était-il un bon conseil ?
Oh que oui ! Et pourquoi n’ai-je pas entendu parler plus tôt de ce petit bijou ? Parce que ce texte est d’une très grande beauté, oui, il est fin, sensible, poétique… Il m’a parfois fait penser à du Duras dans la minutie et la délicatesse des images et des sentiments évoqués.
Le roman retrace un parcours en voiture décrit du point de vue d’un petit garçon nommé Thierry qui, enfoncé dans son siège, ne perçoit que des bribes du paysage. On ne sait pas qui est l’homme qui conduit ni où ils vont. On sait seulement que pour l’enfant, c’est un jour important. Les adultes lui ont expliqué cela. Il n’a pas bien compris pourquoi.
Au fil de la route, l’enfant se souvient de son passé, de son quotidien, évoque une mère souvent absente et qu’il passe son temps à attendre , soit dans un café, soit seul dans un appartement. Des images de la pension religieuse où il vit lui reviennent à l’esprit et notamment une jeune fille qui s’appelle Sophie avec laquelle il jardine et qu’il écoute jouer du piano.
Ce petit garçon observe le monde et nourrit son imagination des détails qui le composent. Souvent, il attend le retour de sa mère qu’il souhaite ne jamais quitter. Seul, il s’abandonne à la contemplation de ce qui l’entoure, ce qui donne lieu à des descriptions très fines et très poétiques qui traduisent merveilleusement la grande sensibilité de l’enfant. Tout est suggéré dans ce roman où la parole des adultes, assez rare d’ailleurs, est souvent rejetée par l’enfant car elle brise l’univers qu’il s’est construit, pour se protéger certainement.
Le petit veilleur est un texte court mais sa puissance est telle qu’il imprime en nous toute la précision et l’acuité du regard de l’enfant sur le monde qui l’entoure et qu’il tente de déchiffrer… A l’émerveillement se mêle un sentiment de solitude, d’abandon peut-être, d’espoir toujours de revoir cette mère qui disparaît si souvent et si mystérieusement. Benoît Reiss décrit avec beaucoup de sensibilité l’attente, le vide, le silence, une odeur qui flotte dans l’air, le bruit des vagues. On est porté par la beauté du texte, sa poésie, et l’on attend le coeur un peu serré une fin que l’on redoute un peu.
Superbe !
Un jeune enfant installé dans une voiture aux côtés d’un homme qu’il ne connaît pas et qui l’emmène il ne sait où, on lui a seulement dit : « C’est un jour important », Il fait chaud, sa chemise lui colle à la peau et le gratte autour du cou. Il voudrait pleurer mais n’ose pas, alors pour se distraire, il convoque ses souvenirs.
La pension où il vivait au milieu d’enfants solitaires comme lui.
Il n’y était pas malheureux grâce à Sophie qu’il aimait écouter jouer du piano.
Le garçon rêve des cerfs-volants qu’il voyait sur la plage lorsque sa mère l’y emmenait, toujours accompagné de « Monsieur ».
Parfois, c’était à la montagne qu’il retrouvait Charles, le fils de « Monsieur ».
Sa mère n’en parle pas beaucoup, d’ailleurs, elle ne lui parle jamais vraiment.
Parfois, le mercredi et le samedi, l’enfant se retrouve seul dans un bar devant un sirop de pêche. Sa mère le laisse quelques heures aux bons soins du patron et part vers un univers inconnu après avoir lancé un laconique « je vous le confie ».
Benoit Reiss signe un texte où délicatesse, tendresse et pudeur se mêlent pour parler de l’enfance malmenée.
Il n’y a jamais de violence, ni verbales, ni physiques contre « Le petit veilleur », mais seulement des silences qu’il arrive à aimer car ils lui parlent de sa mère et lui disent qu’elle reviendra.
J’ai eu la gorge nouée face à cet enfant démuni dans un monde dont il ne comprend pas les codes.
Il est attachant, j’ai eu envie de le serrer fort pour le rassurer.
J’ai frôlé le coup de cœur, légèrement déçue cependant par une fin que j’ai trouvé un peu abrupte par rapport à la délicatesse du reste du roman.
L’enfant s’appelle Thierry, il est dans une voiture qui l’emmène vers un lieu inconnu. C’est « un jour important », voici ce qu’on lui a dit avant qu’il ne quitte la pension où il vivait entouré d’autres enfants, mais aussi de Sophie et de sœur Claire. Le trajet en voiture est propice aux souvenirs, aux interrogations, aux pensées du petit garçon dans lesquelles le lecteur se glisse. « Petit veilleur » : c’est sa mère qui lui a donné ce surnom, car Thierry, dans sa première vie, passe son temps et surtout ses nuits à attendre dans leur appartement du bord de l’océan cette mère pas comme les autres, lointaine et silencieuse, qui le soir venu se transforme en reine, sortant jusqu’au matin, s’absentant parfois même plusieurs jours de suite, laissant son enfant livré à lui-même dans l’appartement vide où il guette son retour. Dans cette voiture où il ne parle pas, Thierry repense aussi à la pension, au silence de l’étude, de la nuit, à Sophie qui l’appelle « Thierry-la-rêverie », toujours dans la lune et songeur. Garçon de l’ombre, il imagine la vie des autres, des vies dans la lumière, vraiment vivantes et libres. Telle est la vérité secrète de l’enfant qu’on emmène, plein d’une espérance fragile, petit prince qui espère revoir l’océan matriciel et oublier les « caprices de la réalité ». Ce court roman écrit à hauteur d’enfant est d’une grande délicatesse, à fleur de peau, poétique comme peut l’être l’imaginaire enfantin, mais aussi cruel et bouleversant.