La ligne
Frédéric Maupomé, Sthéphane Sénégas

Album
Frimousse
novembre 2018
58 p.  15 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Ligne de vie

Dans une cour carrée, bordée de hauts immeubles, deux enfants s’opposent par leurs jeux, et, on le devine d’emblée, également par leurs personnalités. Tandis que la fillette désire s’amuser, jouer avec son ballon, virevolter, quitte à faire du bruit pour se déchaîner, le petit garçon, lui, aspire juste, assis sur un banc, à lire en paix. C’est lui, qui, au départ, trace la ligne noire, comme à la craie, pour séparer l’espace en deux « désirs opposés ». Les enfants ne s’entendent plus – mais se sont-ils un jour compris ? Ont-il seulement discuté ? Il leur faut donc une frontière pour mieux se quereller.
Et puisque la ligne est tracée, ils cherchent à la dépasser, à s’approprier le lieu d’autrui, son « chez lui ». Plus de calme, que du bruit. Ils s’interpellent, se poussent, se relèvent, retracent la ligne, encore et encore. De part et d’autre de cette frontière, désormais, seuls les menaces, insultes, combats demeurent. Qui prennent fin parfois – quand l’un ou l’autre tend la main – mais d’autres fois, pas. Progressivement, à mesure qu’ils s’invectivent et que la situation empire, l’ombre au-dessus d’eux grandit, grossit, pour les envelopper quasiment en entier…
Cet album sur le vivre ensemble devrait s’accompagner d’une discussion avec le tout jeune lecteur : en effet, si la ligne peut être comprise au premier degré – favorisant des disputes, qui métamorphosent les deux enfants, devenant fous de rage, bouches ouvertes, hurlantes, regards noirs, terribles, presque dépossédés, aussi coupables ou victimes l’un que l’autre au grès des situations proposées par les auteurs -, elle pourrait tout à fait signifier un symbole des guerres, des conflits, même anodins, qui peuvent toujours dégénérer. Cette histoire illustre des sujets d’actualité, sur notre manière d’appréhender l’autre, sa culture, sa différence. Brutalement, ces deux personnages ne ressemblent même plus à des enfants, l’on croirait des adultes, au travers desquels l’on se reconnaît, mal à l’aise, impuissants. Dans une langue poétique – les mots riment, se répondent -, les auteurs montrent combien la peur de l’autre, notre incapacité à communiquer, notre tendance à l’antipathie, à l’égocentrisme, peut faire tout basculer.

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