On les voit dans la rue, dans les journaux, on parle d’eux dans les médias ; ils sont sans-abris, sans-papiers, et finissent par se fondre en une masse indistincte de chiffres qui évoluent, ils s’effacent dans des tentes, sous des bâches, mais difficile de ne pas les regarder avec honte, impuissance, fatalisme, parfois colère. Hommes et femmes, enfants, Violaine Schwartz a rencontré des réfugiés (mot qu’elle préfère à « migrants » ou « demandeurs d’asile »), les a écoutés et leur a, dit-elle, donné une place sur le papier à défaut de papiers. Dans ce livre émouvant et juste, elle transcrit le récit de quelques vies marquées par la tragédie, elle évoque aussi des figures d’hospitalité, le tout entrecoupé de réflexions sur la langue et de respirations ailées. Sans pathos, l’auteure est un relais qui passe le flambeau au lecteur, à son tour dépositaire d’histoires qui viennent de loin et racontent le monde et notre pays.
Les réfugiés viennent de Mauritanie, d’Arménie, d’Afghanistan, d’Ethiopie, du Kosovo, où ils sont persécutés, emprisonnés, extorqués, parce que n’étant pas de la bonne ethnie, de la bonne religion, du bon parti, ils n’ont pas eu d’autre choix que de fuir au péril de leur vie. Quand on y pense, on ne décide pas comme ça du jour au lendemain de quitter son pays, sa langue, sa famille, sa terre, sa maison, il a fallu que ces gens subissent l’invivable, l’inimaginable. Certains ont mis des années à arriver en France, ils ont traversé l’Europe dans les pires conditions, sans répit ni repos, franchi des frontières hostiles, sont tombés entre les mains de passeurs sans scrupules, ont connu la faim, les coups, le racket, parfois l’esclavage. Arrivés en France, c’est un nouveau parcours du combattant qui attend les arrivants. Il faut se faire comprendre, apprendre la langue des acronymes administratifs, fournir les justificatifs d’une vie brisée. Lorsqu’ils initient leurs démarches, les réfugiés se voient remettre un « cahier d’histoire » pour « raconter son histoire. Raconter pourquoi on est venu ». Parcours douloureux, incroyables, souvenirs cruels qu’il faut mettre en ordre et en mots avec un maximum de détails… Dans quelle langue être crédible face à des interlocuteurs débordés, une bureaucratie kafkaïenne, des décisions hâtives ? Malgré tout, ce qui ressort du chaos de ces vies, c’est la dignité. A ces existences qui se poursuivent hors de l’expérience écrite, l’auteure donne le droit de cité dans un livre poétique à la dimension éminemment politique.