Un dimanche matin
Johanne Rigoulot

Editions des équateurs
mars 2019
221 p.  19 €
ebook avec DRM 7,49 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Un dimanche matin de 2004, Pierre a tué sa femme. Pour une histoire de coussins. Il y tenait, elle voulait s’en débarrasser. Il l’a massacrée. Bien sûr, les coussins ont été la goutte d’eau, il a basculé, il a tué.
L’auteure connaissait très bien Pierre, il était son cousin.
Un garçon doux, gentil, avec qui, enfant et adolescente, elle passait ses vacances. Des souvenirs avec Pierre, elle en a plein. Elle aimait bien ce cousin. Pour sa douceur et sa gentillesse. Oui, on disait de lui qu’il était gentil. Pierre est gentil. Il « sourit et ne se plaint jamais. » Un homme « inapte au conflit » disait-on aussi. .
Lorsqu’elle apprend la nouvelle, elle a l’impression qu’on lui parle de quelqu’un d’autre.
Pierre ?
Un assassin ? Vous plaisantez j’espère.
Elle se souvient de son mariage, des danses, des rires.
Non, ça ne colle pas.
Et pourtant…
Pierre a tué sa femme, Katia, la joyeuse et pleine de vie Katia, la mère de ses deux petites filles.
Un dimanche matin.
La sidération est sans limites.
La famille de Pierre est anéantie.
Alors, l’auteure va tenter de dire à quel point cette tragédie va toucher de plein fouet tous les membres de cette famille : les parents de Pierre, le frère, les oncles, les tantes, les cousins. Comme par un raz de marée, la famille va se trouver emportée par l’indicible, l’incompréhensible, l’inexplicable. « Son histoire est aussi la nôtre. »
Mais peuvent-ils, pour autant, porter le titre de victimes ? Que sont-ils face à celle qui a été tuée et à sa famille déchirée de chagrin ? Peuvent-ils oser exprimer leur souffrance ? Ne doivent-ils pas, au contraire, se taire, se terrer ?
Sans jamais essayer de remettre en cause la culpabilité avérée de Pierre, ils vont devoir tenter de comprendre ce qui s’est passé pour que Pierre en arrive là. Est-il un monstre dénué d’humanité ou est-il encore un homme, un cousin avec lequel on a passé tant de bons moments ? Comment se comporter avec ce proche qui est devenu un étranger tellement son acte est terrible ? Quel est le rôle de la famille, de ceux qui restent ? Est-il possible de supporter l’insupportable, d’affronter le pire ?
Ce récit de Johanne Rigoulot propose un autre point de vue sur un crime et son auteur : celui de la famille, la famille du coupable.
« La famille est un organisme vivant. Qu’un seul élément l’intoxique et le corps entier entre en lutte. »
D’abord, il y a les bribes d’informations qui parviennent, il faut reconstituer le puzzle. Les morceaux ne collent pas. On pense à un accident. Une dispute, une bagarre, une chute. Oui, ce doit être ça, forcément. Jusqu’à présent, c’était clair : le Bien d’un côté (le nôtre) et le Mal, ailleurs, dans les faits divers entendus à la radio, chez les autres. La limite devient floue, la frontière s’efface. « Ombre et lumière se mélangent en permanence. »
Et la vérité se fraie un chemin. Elle n’est pas belle, cette vérité.
Alors, il faut tenter de comprendre la trajectoire de Pierre, explorer ce qui a pu l’amener à cette folie, il faut comprendre ce qui fait que d’autres, dans des situations semblables, évitent le pire. Quelle est la force qui les retient, pourquoi Pierre, lui, n’a-t-il pas eu cette force ?
Le procès place la famille sur la place publique. Il faut expliquer : qui on est, ce qu’on a vécu, ce qu’était Pierre, ce qu’on sait, ce qu’on croit savoir, ce qu’on imagine.
La honte est là, toujours. On est de la famille de l’assassin, il y a donc quelque chose de pourri au sein de ce clan. On imagine ce que les autres pensent, la façon dont ils nous voient. On est un proche du criminel, on a presque un peu de sang sur les mains nous aussi, on est un peu responsable, on n’a peut-être pas fait ce qu’il fallait, au bon moment.
« On fouille les armoires. Ici, pas de place pour la pudeur. » C’est le grand déballage.
Trois jugements en quatre ans : le procès, l’appel, la cassation. Mais au fond, parle-t-on de la même personne ? « J’ai connu l’homme. Eux rencontrent un meurtrier. » Comment se parler, comment se comprendre ?
L’auteure commence un échange épistolaire avec son cousin. « L’homme à qui j’écris a commis l’impensable.Que dit-on à quelqu’un qui vient de tuer de ses mains ? Car, oui, on continue à le considérer en homme, malgré tout, quand le reste du monde vous incite, naturellement, à l’effacer du vôtre. L’affaire est plus complexe pour qui la vit. Elle prend du temps. Aucun lien ne se coupe en une phrase. Aucun patrimoine commun ni aucune mémoire partagée ne se dissolvent à l’aune de quelques mots, fussent-ils « Pierre a tué sa femme ». Comme un décapité qui, dit-on, court encore quelques mètres sans sa tête, on continue à aimer avec la même chaleur. Sans doute même plus fort, par réflexe de l’âme puisque l’autre révèle son infinie détresse. »
« Si j’écris sur lui, autour de lui, c’est qu’il existe encore. »
Dans ce récit, très fort et très poignant, l’auteure parle de ce qu’elle a perdu dans cette tragédie qui l’a profondément changée. Et encore, dit-elle, elle n’était pas aux premières loges contrairement aux très proches.
Rien n’est plus comme avant ; le procès réécrit même le passé.
« Ce temps d’amour et de légèreté ne me sera jamais rendu et, aujourd’hui encore, j’en reste inconsolée. »
Les mots qu’elle prononce, pleins d’affection et de pudeur, pleins d’incompréhension et de tristesse, permettront, elle l’espère, l’apaisement. Ils sont les mots que Pierre n’a pas eus, qu’il n’a pas su trouver pour parler avec sa femme, qu’on ne lui a peut-être pas appris.
Ils sont ce qui peut les sauver.
Un texte bouleversant et superbement écrit.

LIRE AU LIT le blog

partagez cette critique
partage par email