Nouvelle-Calédonie 1985, deux hommes dans une voiture sont visés par un fusil tenu par un jeune kanak à un barrage sur un chemin. Gocéné en descend pour discuter, le blanc, Caroz, est sommé de faire demi-tour. « L’homme que tu as chassé sans même essayer de l’écouter, à soixante-quinze ans comme moi. Même s’il est Blanc, il est tout aussi kanak que toi et moi : il a fait des mois de prison, chez les siens, pour avoir pris ma défense…Un Blanc en prison çà cause d’un kanak ? C’est la première fois que j’entends ça ». Alors Gocéné raconte son histoire aux deux jeunes indépendantistes.
Gocéné, né à Canala en Nouvelle-Calédonie, fut une des cent onze personnes Canaques à être envoyées à Paris pour représenter « la culture ancestrale de l‘Océanie » lors de l’exposition coloniale de 1931. Bien sûr, ils n’y sont pas allés de leur plein gré, ils ont été désignés. « Il (l’adjoint du gouverneur Joseph Guyon) a commencé par nous appeler « mes amis », et tout le monde s’est méfié. Il a rendu hommage à nos pères, nos oncles qui étaient allés sauver la mère-patrie d’adoption, pendant la Grande Guerre, avant de nous annoncer que nous partirions dès le lendemain pour l’Europe. »
Ce séjour français ne fut pas une sinécure mais une honte. Sur le panneau devant leur enclos est écrit « Hommes anthropophages de Nouvelle-Calédonie».Gocéné et les autres doivent pousser des cris, danser les seins nus pour les femmes, manger de la viande crue, pour bien attester du « bon sauvage ». Est-ce là leur culture ? Certains seront mêmes échangés, à un zoo allemand, contre des crocodiles vivants . « En échange je leur ai promis de leur prêter une trentaine de Canaques. Ils nous les rendront en septembre, à la fin de leur tournée. » ; c’est dire la considération que nous avions des habitants de nos colonies. Le maréchal Lyautey, dans son discours, lors de l’inauguration de l’exposition coloniale a dit : « une leçon d’union entre les races qu’il ne convient pas de hiérarchiser en races supérieures ou inférieures, mais de regarder comme différentes » !
Gocéné a promis de veiller sur la sécurité de Minoé, sa promise qui fait parti du lot prêté. Gocéné et son cousin Badimoin décident de pister le bus et les voici dans Paris à la recherche de la promise. Cela se termine par la mort, d’une balle tirée dans le dos, pour Badimoin et la prison pour Gocéné. Une seule personne blanche a pris leur parti, Caroz, ce qui lui a valu de l’emprisonnement. Beaucoup plus tard, ils se sont retrouvés et Caroz est venu en Nouvelle-Calédonie. Gocéné fera avec les indépendantistes ce que Caroz a fait avec lui.
En parallèle, l’auteur parle des évènements en cours en Nouvelle-Calédonie et qui ont conduit à la signature des accords de Nouméa en 1998.
Ce récit, inspiré d’un fait authentique, pose plusieurs questions. Un homme peut-il accepter d’être montré comme un cannibale, exposé comme un animal dans un zoo ? Un homme est-il un homme lorsqu’il est considéré comme un sous-homme de par sa couleur, son lieu de naissance ?
Un regard sur notre passé colonialiste et paternaliste qui, malheureusement n’a pas beaucoup changé. Si ce ne sont plus les autorités de l’État qui, théoriquement, considèrent les autochtones comme des cannibales ou des sous-hommes, ce sont les multinationales qui cannibalisent leurs terres pour leur seul profit et considèrent les « colonisés » comme autant de main-d’œuvre à très bon marché et que piller leurs richesses n’a aucune importance. Tout le relent xénophobe et raciste qui revient au galop montre que les choses n’évoluent pas dans le bons sens, loin s’en faut.
Un livre, paru en 1998, qu’il faut lire.