Nirliit
Juliana Léveillé-Trudel

La Peuplade
octobre 2015
173 p.  18 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

La violence du grand Nord

Ce livre à la couverture couleur crépuscule, au titre qui claque comme le cri d’un animal nasillard est de ces textes qui sont difficiles à refermer. Essayer de respirer à nouveau paisiblement, loin de la violence du Grand Nord est difficile après une telle lecture.
A Salluit (« Les gens maigres »), une femme dialogue avec Eva, son amie morte. Elle vient du Sud, est enseignante et, comme les oies, revient chaque année pour travailler.
Comme elle, des travailleurs saisonniers vont et viennent. Pour eux, mâles ouvriers, le va-et-vient se fait également dans le corps des jeunes femmes inuites; parfois même dans celui de fillettes. Ce sont des hommes de leur tribu, des parents, ou des proches qui se glissent en elle. Qu’importe si les nouveau-nés sortent du corps d’adolescentes trop jeunes pour être mères, puisque le village s’en occupera : »c’est si simple pour vous, l’adoption, vous avez le don de tout compliquer, mais pas l’adoption, et je vous aime tellement d’aimer les enfants des autres comme les vôtres, si simplement. »
Ce que raconte cette prof à l’esprit de son amie Eva, tuée et jetée dans les eaux du fjord, c’est la violence, incroyable, de cette vie à Salluit. Des humains qui se choisissent, se quittent, refusent -parfois- d’appartenir à un(e) autre, trouvent normal de régler à coups de fusils les différents, admettent leurs responsabilités dans les meurtres qu’ils commettent sous emprise (alcool, drogue…) et tout cela sous l’œil des Blancs.
Car ce que met en scène, dans une langue poétique, quelquefois argotiques, Juliana Léveillé-Trudel, c’est l’âpre vie des Inuits de Salluit. Oubliés du Canada après avoir été tués, déportés, parqués, niés dans leur mode d’existence même, par cet état qui les maintient sous perfusion.
D’Eva, tuée comme tant d’autres femmes de Salluit, il ne reste à la narratrice que des souvenirs… une faille dans son cœur qui ne parvient pas à se refermer. Une béance encore plus violente pour Elijah, son fils, à la recherche du corps de sa mère et qui essaie d’être un père pour Cécilia, l’enfant qu’il a peut-être eu avec Maata, une femme libre, abimée depuis par un autre homme. Comme presque toutes les jeunes femmes inuites de Salluit…

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