Murène
Valentine Goby

Actes Sud
août 2019
384 p.  21,80 €
ebook avec DRM 15,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

« Murène » de Valentine Goby
est le coup de coeur de La librairie La Lison à Lille
dans le q u o i  l i r e ? #79

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L’art des cicatrices

Valentine Goby raconte l’histoire d’une vie coupée en deux par un choc terrible, une épopée du corps mutilé, celui d’un accidenté civil devenant sous sa plume un héros. François Sandre est un Parisien de vingt-deux ans, il vient de rencontrer une fille dont il est amoureux, il travaille sur des chantiers et vit avec sa sœur et ses parents qui possèdent un atelier de confection. En février 1956, au cœur de cet hiver qui bat tous les records de froid, il se rend dans les Ardennes pour aider à la scierie d’un cousin, lorsqu’il est victime d’un accident par électrocution avec une caténaire. Sa survie tient du miracle, mais il sera amputé des deux bras. C’est la fin, tout s’effondre, son corps entièrement dépendant ne lui appartient plus, ne lui répond plus. Après des mois d’hospitalisation, de douleur physique et morale apaisée parfois par une infirmière dévouée, François rentre à Paris auprès des siens où il doit tout réapprendre, son quotidien devenu impossible sans assistance, sous les regards de pitié ou d’horreur qu’il suscite parfois dans la rue. Alternent des phases de profond désespoir, de colère et de honte, et d’éphémères éclaircies : certes les prothèses lui redessinent une silhouette normale, mais ne lui permettent pas d’exécuter les gestes les plus élémentaires.

A la faveur d’un séjour à la montagne, il découvre dans un lac que son handicap est moins lourd dans l’eau, comme le signe d’une renaissance. Malgré les obstacles, il apprend à nager sans bras et découvre le handisport développé après la Seconde Guerre mondiale, avec pour objectifs la rééducation et la réinsertion. Pour autant, il lui en faudra, du courage et de la force d’âme pour franchir les limites assignées à son corps de grand blessé et pour atteindre la résilience. Autour de François, la vie familiale et sociale bouleversée se transforme aussi, sur fond de libération des entraves et de l’affranchissement du joug de la norme. Valentine Goby, avec une écriture ciselée, précise et sensible, possède l’art de nous attacher à ses héros du quotidien, les personnages secondaires n’étant pas en reste ; ici, chacun gravit sa montagne avec son fardeau. Un beau roman qui s’ajoute à une œuvre lumineuse et délicate.

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 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Je n’ai jamais été déçue par les romans de Valentine Goby, non, jamais. Ils sont assez rares ces auteurs qui ont suffisamment de talent pour se lancer dans une VRAIE histoire avec de VRAIS personnages, forts, puissants, éblouissants même, en tout cas impossibles à oublier et que l’on suit comme s’ils étaient un ami ou un frère : en tremblant, en espérant, en pleurant.
Extrêmement documentés, les romans de Valentine Goby nous projettent dans une époque précise et nous placent au coeur d’un problème de société qui soudain va nous surprendre puis, très vite, nous passionner, devenir essentiel et mettre en lumière tout un monde qui nous était jusqu’à présent inconnu.
C’est simple, on est embarqué par la prose dynamique, vivante, l’écriture riche, dense, ardente, qui fouille, donne à voir, à sentir, à entendre. La puissance, la force d’évocation et la sensualité qui s’en dégagent ont peu d’équivalent dans la littérature actuelle.
Quelle conteuse que cette écrivaine !
Allez, je vous dis deux mots de François. Il est beau François, il a la beauté fulgurante de ses vingt-deux ans, le visage de l’amour, le corps d’un dieu : il a la vie devant lui, la vie et ses belles promesses, là, à portée de main… Il a hâte de se jeter à corps perdu dans cette vie bouillonnante qui l’attend, avec Nine, celle qu’il aime, celle qu’il rêve de tenir serrée dans ses bras, tandis qu’en cet hiver extrêmement froid de 1956, il se trouve dans un camion avec un certain Toto qu’il vient de rejoindre porte de Clichy. Ils partent pour les Ardennes : il doit donner un coup de main à un cousin, dans une scierie, près de Charleville-Mézières.
Très vite, ils sont obligés de ralentir, la route est gelée, le brouillard de plus en plus dense. S’ils calent, ils ne redémarreront pas, c’est certain. Le pire (qui n’est jamais sûr) arrive soudain : le dix tonnes s’immobilise net. Toto envoie François chercher de l’aide, lui reste garder la ferraille qu’il transporte. C’est tout droit, tu trouveras. Un paysage tout blanc s’étend à perte de vue.
François n’aura pas le temps de rencontrer quelqu’un, non. Sa vie va soudain basculer. Il y aura un avant la panne et un après, deux vies en une, deux hommes en un.
Et l’on assistera à la métamorphose magnifique de François…
Je n’en dis pas plus, vous conseille (comme d’habitude) de ne pas lire la quatrième de couverture et de vous plonger dans ce roman au sujet passionnant (je dis, je ne dis pas ? Non, franchement, pour le plaisir du lecteur, mieux vaut laisser tout cela intact), un roman profondément émouvant : les personnages sont décrits avec tant de finesse, de précision, sur un mode si nuancé, qu’ils évoluent, là, devant nous ! Oui, Valentine Goby les rend vivants et on les aime tellement, tellement, vous verrez…
Et puis, l’écriture, pleine, serrée, rythmée, saisit le lecteur, l’emporte, l’arrache à son présent : nous sommes François, nous sommes ce personnage magnifique et nous avançons dans le silence profond de cette grande étendue de neige, nous marchons vers notre destin.
C’est parti.

LIRE AU LIT le blog

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Poignant, relevé, mature, ce roman est un témoignage clé contre l’adversité. Il incite à l’espoir, au plausible réveil dans un autre espace vital. Il bouscule et arpente les cimes ténébreuses, brouillard opaque irréversible. Ce récit est le parchemin de la vie d’un jeune homme en l’occurrence François en sève de jours heureux. Jusqu’au jour où un drame va s’abattre sur ses ailes papillon, briser son envol vers une jeunesse riche d’insouciance, anéantir la beauté frémissante de son corps de jeune battant. L’écriture est pragmatique, précise, quasi chirurgicale parfois. Rien n’est laissé de côté, tout est dit. François l’authentique n’est plus. Son corps dans cette trame devient substance. Après de longues années de souffrances, de fuites, de rejet de lui-même et des autres, il va peu à peu à pas prudents s’avancer vers le sombre, chercher sa voie. Murène emblématique chutant dans l’espace marin, défiant la peur, la honte, il va tourner le dos à l’étrange (er) son double à jamais. Lire ce récit, c’est devenir murène.

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