Le monde horizontal
Bruno Remaury

Corti
août 2019
171 p.  17 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

« Le monde horizontal » de Bruno Remaury
est le coup de coeur de La Maison du livre à Rodez
dans le q u o i  l i r e ? #80

partagez cette critique
partage par email
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

L’homme horizontal

Voici une pépite, une vraie, un livre jouissif entre la fiction et l’essai qui progresse par associations d’idées, mêle anecdotes et grande histoire, parle de découvertes, d’individus réels ou imaginaires, et déroule une pensée structurante lumineuse. Trois dates jalonnent l’ensemble : 1906, 1506 et 1946.
La première correspond à la découverte sur la voûte de la grotte pyrénéenne de Gargas de dessins préhistoriques de mains au pochoir : révélation et révolution de la conception de l’homme primitif uniquement préoccupé par sa survie. Mystérieux et symboliques, ces dessins représentent quelque chose de l’ordre du sacré. Cette même année 1906, l’explosion de la mine de Courrières cause plus d’un millier de morts, et l’État privilégie la préservation du gisement au détriment du secours des mineurs prisonniers des galeries. Quand il s’agit de profit, les entrailles de la terre n’ont plus rien de sacré, et l’ogre n’épargne guère les classes laborieuses d’une société hiérarchisée.
En 1506, Léonard de Vinci peint ses figures sur fond de rochers menaçants comme des cavernes, et un filet d’eau qui rappelle la crainte du déluge au jour du Jugement. A cette époque, on supprime les forêts (autres lieux de danger) au profit des cultures, et le bois sert aussi à la construction des bateaux : c’est avec trois d’entre eux que Christophe Colomb découvre le continent américain où l’homme n’aura de cesse de s’enfoncer toujours plus avant, traçant des pistes puis des routes.
Ces dernières seront au 20e siècle parcourues par les célèbres autocars Greyhound, comme celui que conduit Harry en 1946, un vétéran de la Seconde Guerre mondiale. Isaac est lui aussi un vétéran, mais noir, et pour cette raison il sera arrêté à sa descente d’un de ces véhicules puis roué de coups par des policiers blancs jusqu’à en perdre la vue. Les Etats-Unis ne traitent pas les Noirs avec égalité, tout comme nombre d’immigrés qui viennent grossir la masse des travailleurs pauvres. La statue de la Liberté, dressée comme une promesse de dignité, écrase plus qu’elle n’élève. En 1946, Jackson Pollock décroche sa toile du mur et la pose au sol pour peindre à plat ; par ce geste, il achève le mouvement de renversement de la verticalité à l’horizontalité. Aujourd’hui, l’Amérique s’étale, uniformise, le capitalisme s’infiltre partout comme les eaux destructrices de Léonard de Vinci. Les individus en mouvement ne lèvent plus les yeux vers le ciel ; voici advenue l’ère de l’homme horizontal, passé du spirituel au matériel, du secret au visible et du sacré au prosaïque. Triste destinée.

partagez cette critique
partage par email