critique de "Ceux qui partent", dernier livre de Jeanne Benameur - onlalu
   
 
 
 
 

Ceux qui partent
Jeanne Benameur

Actes Sud
août 2019
330 p.  21 €
ebook avec DRM 15,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

« Ceux qui partent » de Jeanne Benameur
est le coup de coeur de la librairie Tonnet à Pau
dans le q u o i  l i r e ? #80

partagez cette critique
partage par email
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

PARTIR: LA DECHIRURE

Qu’est-ce que partir, émigrer ? Cette question d’une actualité brûlante est pour ainsi dire radiographiée, disséquée, dans le dernier roman de Jeanne Benameur, Ceux qui partent. Le cadre, c’est l’île d’Ellis Island, lieu bien connu des candidats à l’émigration sur le sol des Etats-Unis , qui servait de centre d’accueil et de transit jusqu’à sa fermeture .Nous sommes en 1910 : Donato Scarpa, comédien fin lettré, sa fille Emilia douée pour la peinture, Esther Agakian , jeune arménienne fuyant la persécution exercée sur son peuple par les Turcs ottomans .Andrew Jonsson, photographe de son état , et Gabor , jeune gitan qui rêve de gagner l’Amérique latine , plus conforme à ses attentes , sont les principaux protagonistes .
La forme du roman, c’est un choral auquel participent tous ce personnages .Ils décrivent leurs attentes, leur état d’esprit, leurs antécédents psychologiques, affectifs, sociologiques face à l’accomplissement de ce départ .Les phrases de Jeanne Benameur sont courtes, concises , mais elles ne tombent pas dans une distanciation excessive vis-à-vis du sort des personnages .Elles font mouche et illustrent le caractère ambivalent du départ, de l’arrachement à ses origines, à sa langue : « Il y a ceux qui restent et ceux qui partent.(…) Elle pressent, oui, dans cet instant suspendu, que ce qu’on nomme le départ passe et repassera par son corps à elle. »
Emigrer, nous dit Jeanne Benameur, c’est intrusif, c’est un envahissement de notre intimité, une remise en cause de notre autonomie d’individu. C’est ce qu’éprouve Donato, pour qui les Américains « ont nourri aussi nos femmes et nos enfants (…) Jusqu’où l’étranger doit-il entrer dans notre chair ? »
Les descriptions des relations qu’entretiennent les personnages entre eux sont fines, subtiles : elles touchent par exemple à l’effet de la déclamation d’un livre lu par Donato sur le jeune gitan Gabor, qui espère séduire Emilia : « Pourtant, cette voix a failli le retenir parce qu’il a compris ce et qu’il aime ce que fait cet homme. »
Bien plus qu’un reportage journalistique ou qu’une étude d’une organisation internationale ne pourraient le faire, Ceux qui partent illustre la nature de la démarche du départ, ses conséquences à longue échéance, sa genèse : « Les émigrants ne cherchent pas à conquérir des territoires ; ils cherchent à conquérir le plus profond d’eux -mêmes parce qu’il n’y a pas d’autres façons de continuer à vivre lorsqu’on quitte tout. »
Ce roman contribuera sans doute à la connaissance des mécanismes intimes du départ : l’espoir, la douleur, la renaissance escomptée en sont les éléments majeurs dont Jeanne Benameur illustre magnifiquement la puissance sur les destinées personnelles.

partagez cette critique
partage par email
 

Une écriture qui crée l’émotion

Un enchantement que ce livre dont j’ai recopié quelques phrases « où allons-nous ainsi dans la nuit , nous qui marchons dans nos rêves sans bruit ». Une belle unité de temps et de lieu pour ce roman. Des personnages dont on apprend au fil des pages ce qui les a conduits à Ellis Island. Il y a ceux qui débarquent et grâce à Andrew Jonnsson, le jeune photographe new-yorkais, nous avons accès à ceux qui ont débarqué il y a un peu plus longtemps, le père et la grand-mère d’Andrew, venus d’Islande, la mère d’Andrew issue des premiers arrivants, ceux du Mayflower.
Émilia est surprenante par sa liberté, par sa volonté, elle prend et quitte Gabor, le violoniste tsigane, car elle veut tracer son chemin toute seule.
Qui sont les personnages secondaires de ce roman? Difficile à dire, l’auteur en dit peu sur certains et plus sur d’autres mais l’ébauche des caractères est faite avec tant de talent, que l’essentiel est dit.
Et puis il y a les textes que Donato lit et dit, il y a les couleurs dont Émilia couvre ses toiles, il y a la musique de Gabor, les images d’Andrew, les tissus d’Esther, les mots des différentes langues … le monde est recréé dans sa diversité, cette diversité culturelle qui fait la richesse des êtres qui ont quitté leur patrie mais continue à la porter en eux. Bravo!

partagez cette critique
partage par email
 
coup de coeur

Une nuit à Ellis Island

Ouvrir un roman de Jeanne Benameur est toujours une promesse tenue d’un excellent livre.

« Ils prennent la pose, père et fille, sur le pont du grand paquebot qui vient d’accoster. Tout autour d’eux, une agitation fébrile. On rassemble sacs, ballots, valises. Toutes les vies empaquetées dans si peu. »

1910. Eux, ce sont Donato et Emilia, venus d’Italie, non pas pour un avenir meilleur, mais pour changer de vie. Donato, acteur italien, est veuf depuis peu, inconsolable. Emilia a pris la décision pour eux deux ; direction l’Amérique où elle veut être peintre et… LIBRE.
C’est vrai qu’ils détonnent quelque peu dans la foule fébrile, anxieuse des candidats à l’émigration. Lui grande stature, se tient droit avec un livre rouge qui ne le quitte jamais et qu’il lit souvent « Enée », sa bible.
Tout un troupeau humain qui attend le bon vouloir d’un tampon leur permettant d’espérer une vie meilleure. Parmi eux, Emilia a remarqué Esther, Jeune femme venant d’Arménie, seule survivante du génocide. « L’histoire d’Esther Agakian, n’est pas racontable, mais elle est devenue la moelle de ses os. » L’entente est immédiat entre elles, même si elles ne parlent pas la même langue, leurs corps, leurs mains se parlent et se comprennent. Un peu plus tard, le son d’un violon se fait entendre. Gabor joue pour Emilia qu’il a remarqué et les notes de musique lui font un manteau de sensualité. Envoûtée, Emilia danse et d’un geste naturel, dénoue ses longs cheveux.

Andrew Jónsson, aime venir photographier tous ces inconnus venus dans l’espoir d’une vie meilleure. Il vient à la recherche, à la source de ses racines. Son père est venu d’Islande rejoindre le père parti depuis deux ans et sa mère se glorifie d’être la descendante des passagers du Mayflower. Le sujet n’est jamais abordé dans la grande et belle maison, alors, Andrew se faufile dans les couloirs d’Ellis Island pour chercher un signe, chercher son passé et il s’est attaché à Donato et Emilia.

Cette nuit-là, la peur, l’espoir, l’attente, tout part du ventre, des tripes, rien n’est pensé ni intellectualisé. Ils sont là, couchés dans des lits, hommes et femmes dans des dortoirs séparés. Cette nuit, ils accouchent d’une nouvelle vie. Cette nuit, certains osent, d’autres dorment, Donato, de sa belle voix, lit des passages de son Enée. Cette nuit, la chrysalide se transforme (peut-être) en papillon, comme les serpents, ces femmes et ses hommes vont muer
Leur langue maternelle va devenir une langue étrangère, une langue intime.
« La belle langue c’est ce qui les a toujours tenus ensemble, tous les trois, puis tous les deux. Le lien indéfectible, sacré. Est-ce que cela aussi va se fissurer ? » Il faudra bien parler une autre langue, toujours une autre. »
Un superbe livre intense comme leurs vies ; une plume sensuelle, imagée comme une peinture, peut-être celle d’Emilia. Une très belle retrouvaille avec Jeanne Benameur.
Retrouvez Zazy sur son blog 

partagez cette critique
partage par email
 
coup de coeur

Une écriture en forme de poème avec la liberté du roman

Une écriture en forme de poème avec la liberté du roman, voici le nouveau livre de Jeanne Benamer « Ceux qui partent » paru chez Actes Sud pour la rentrée littéraire 2019.
Cette histoire permet à Jeanne Benameur de décrire une journée et une nuit à Ellis Island (NY) au travers d’une galerie de personnages au moment des années 1910.
« La ville du jour neuf » est la porte d’entrée pour les migrants sur le sol américain. Après la vague d’immigration importante nécessaire aux développements économiques de la jeune nation américaine, en 1910, les portes commencent à se fermer et du coup, on trie, on sélectionne, on refuse…
Jeanne Benameur s’interroge sur la notion de pays, de langue, d’exil, des motifs économiques ou politiques de l’émigration mais aussi de départ volontaire pour se libérer des failles et des douleurs et booster sa vie.
Comme pour Emilia, jeune institutrice et peintre abstraite qui attend de ce nouveau pays, un renouveau, une nouvelle naissance. Son père, Donato Scarpa, acteur italien, l’accompagne pour la protéger dans cette quête de liberté et d’indépendance. Accompagné de son livre fétiche, L’Eneïde d’Enée, sa lecture l’accompagnera et rassurera aux heures les plus tristes plus que lui-même. Esther, une jeune femme arménienne qui fuit les persécutions de son pays, rêve d’habiller des corps qu’elle imagine souples et libres d’entraves. Gabor, un tzigane, cherche avec sa communauté à s’implanter, son violon en bandoulière pour exprimer ses émotions. Que découvrira-t-il ici à Ellis Island qu’il ne savait déjà ! Autour d’eux, un photographe, Andrew Jonsson, jeune américain de père islandais et d’une mère attachée à ses ancêtres proches de ceux des pionniers, attiré par ce lieu de passage, recherche en photographie plus qu’un bon cliché …
L’exil, Jeanne Benameur l’a connu. Fuyant la guerre d’Algérie à cinq ans, ses parents s’installent en France. Son père est algérien et sa mère italienne. Deux langues ont bercé son enfance, l’arabe et le français.
En prenant cet espace temps réduit, Jeanne Benameur détaille comme une incantation le moment de l’attente où chacun doit maitriser sa peur en prenant le temps et l’audace de préciser, de conforter ses désirs pour être prêt à ce passage qu’est l’arrivée dans un nouveau pays. Entre espoir et doute, mais toujours, détermination…
La langue est poétique. Elle décrit comme un cantique la rencontre à l’autre par la parole, les corps et la sensualité. J’ai aimé lire ses mots qui souvent par leur beauté assemblée provoque émotions. Quelquefois, ces évocations répétées lassent mais d’un coup, la beauté des mots assaille, l’émotion submerge et le sens inonde de justesse le ressenti.
Jeanne Benameur nous parle aussi de ses passions, de celles qui aident à vivre : la photographie, la musique, la littérature, la peinture, la mode. Elles sont disséquées pour justifier l’apport qu’elles donnent à celui qui a la chance de s’émouvoir par un son, un tableau, un livre ou un tissu.
Dans « Ceux qui partent », Jeanne Benameur permet à tous ses personnages de trouver de nouvelles couleurs à leurs vies: rouge pour Emilia, gris pour Andrew, bleu azur pour Esther, opale comme les yeux de Grazia pour Donato. Tout au long de sa lecture, je n’ai cessé de penser à ses yeux qui nous regardent du bord des bateaux en Méditerranée…Ma couleur alors est celle du noir…

vagabondageautourdesoi.com

partagez cette critique
partage par email