La rédaction l'a lu
Au nom des parentsAnéanti par le chagrin après la mort de sa mère survenue en 2014, neuf ans après celle de son père, Manuel Vilas se sent orphelin. Récemment divorcé et père de deux adolescents distants, l’auteur quinquagénaire se considère comme un raté et doit désormais s’habituer à une solitude contaminée par la tristesse. Il se remémore le temps où il était encore le fils d’un agent commercial qui portait des costumes en tergal avec élégance, et d’une mère au foyer qui adorait les bains de soleil et craignait par-dessus tout la déchéance sociale. Le couple faisait partie de ce que l’auteur appelle la « classe moyenne-basse », à l’instar de millions d’autres Espagnols, pauvres avec décence. Une voiture, un appartement : le pouvoir franquiste puis la transition démocratique ont assis leur légitimité sur une fragile sécurité matérielle. Hormis ces éléments tangibles, Manuel Vilas déplore le fait que ses parents ne lui aient légué aucune histoire familiale, aucun secret ni aucune légende, car cette ignorance le prive de racines. Ses parents étaient aimants, mais d’un amour pudique qui se passait de mots et de gestes. Seuls perdurent quelques souvenirs dans le « cimetière de la mémoire » qu’il creuse ici avec opiniâtreté : la voiture de son père, sa signature de marquis, l’odeur des cigarettes blondes, la cuisine à l’huile d’olive de sa mère, les billets de loterie à Noël, des émissions télévisées, et les séjours à Ordesa, dans la vallée pyrénéenne d’Aragon. Hélas, la disparition est le lot de ces vies minuscules et ordinaires qui passent sans laisser de traces. Au fond de son gouffre, l’auteur vit avec deux fantômes et la culpabilité d’avoir choisi l’incinération des corps, solution la plus économique mais la plus annihilante. Seule l’écriture arrache ses parents au néant, l’auteur et fils devenant le gardien du mystère de leur existence, et redécouvrant la puissance de leur amour, comme avant lui Albert Cohen ou Romain Gary. Un grand roman, bouleversant et universel.
coup de coeur
« Ordesa » de Manuel Vilas |
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