Pendant les vacances de Noël, Rose, psychologue, bobo parisienne quadragénaire, est en croisière sur la Méditerranée avec ses deux enfants mais sans son mari qui boit un peu trop. Notre héroïne se pose d’ailleurs beaucoup de questions sur son couple qui tangue et sur leur futur déménagement à Clèves au Pays basque, le village natal de Rose. Une nuit, entre la Lybie et l’Italie, le paquebot vient en aide à un chalutier en détresse rempli de migrants. Comme d’autres croisiéristes, Rose assiste au sauvetage des naufragés et à la mort tragique de certains d’entre eux, le regard aimanté par un adolescent nigérien, Younès, à qui elle donnera le téléphone portable de son fils, se liant au sort du jeune réfugié débarqué en Sicile. De retour en France, Rose renoue avec son quotidien, en attendant l’heure de l’emménagement au vert qui apporte son lot de déceptions. Entretemps Younès l’appelle sans qu’elle ose décrocher, jusqu’au jour où elle décide d’aller le chercher à Calais.
Si le sujet du roman est d’actualité, Marie Darrieussecq évite tout pathos et tout moralisme. Elle égratigne son héroïne qui aurait tendance à se rêver en Mère Teresa, parfois déçue ou exaspérée par son migrant qui ne correspond pas à l’idéal du genre. Rose ne manque certes pas de bonne volonté ni d’empathie, mais les préjugés et les clichés sont tenaces : non, la vie n’est pas plus facile à la campagne, son mari est alcoolique, sa fille semble allergique à la nature et son fils est de plus en plus distant. Le roman joue finement avec les idées reçues, l’autosatisfaction gratuite ou l’ignorance. Il réfléchit aussi aux origines, au fait d’habiter un pays, une ville, une maison, avec cette question : pourquoi part-on ? Cela vaut pour Younès mais aussi pour Rose, qui se retrouvent tous deux en territoire étranger, l’idéalisme battu en brèche par le réalisme. Avec une écriture habile et dynamique, l’auteure manie savamment l’ironie, faisant surgir de l’ambiguïté du langage les failles de la condition humaine.