critique de "La mer à l'envers", dernier livre de Marie Darrieussecq - onlalu
   
 
 
 
 

La mer à l'envers
Marie Darrieussecq

POL
fiction
août 2019
256 p.  18,50 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Prendre le large

Pendant les vacances de Noël, Rose, psychologue, bobo parisienne quadragénaire, est en croisière sur la Méditerranée avec ses deux enfants mais sans son mari qui boit un peu trop. Notre héroïne se pose d’ailleurs beaucoup de questions sur son couple qui tangue et sur leur futur déménagement à Clèves au Pays basque, le village natal de Rose. Une nuit, entre la Lybie et l’Italie, le paquebot vient en aide à un chalutier en détresse rempli de migrants. Comme d’autres croisiéristes, Rose assiste au sauvetage des naufragés et à la mort tragique de certains d’entre eux, le regard aimanté par un adolescent nigérien, Younès, à qui elle donnera le téléphone portable de son fils, se liant au sort du jeune réfugié débarqué en Sicile. De retour en France, Rose renoue avec son quotidien, en attendant l’heure de l’emménagement au vert qui apporte son lot de déceptions. Entretemps Younès l’appelle sans qu’elle ose décrocher, jusqu’au jour où elle décide d’aller le chercher à Calais.

Si le sujet du roman est d’actualité, Marie Darrieussecq évite tout pathos et tout moralisme. Elle égratigne son héroïne qui aurait tendance à se rêver en Mère Teresa, parfois déçue ou exaspérée par son migrant qui ne correspond pas à l’idéal du genre. Rose ne manque certes pas de bonne volonté ni d’empathie, mais les préjugés et les clichés sont tenaces : non, la vie n’est pas plus facile à la campagne, son mari est alcoolique, sa fille semble allergique à la nature et son fils est de plus en plus distant. Le roman joue finement avec les idées reçues, l’autosatisfaction gratuite ou l’ignorance. Il réfléchit aussi aux origines, au fait d’habiter un pays, une ville, une maison, avec cette question : pourquoi part-on ? Cela vaut pour Younès mais aussi pour Rose, qui se retrouvent tous deux en territoire étranger, l’idéalisme battu en brèche par le réalisme. Avec une écriture habile et dynamique, l’auteure manie savamment l’ironie, faisant surgir de l’ambiguïté du langage les failles de la condition humaine.

 

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 Les internautes l'ont lu

un roman actuel

S’attaquer à un sujet aussi lourd que celui des migrants et des drames qui émaillent leur long périple vers ce qu’ils pensent être un paradis, par le biais d’une fiction n’est pas chose aisée. C’est pourtant ce que Marie Darrieussecq tente et réussit dans La mer à l’envers. En mettant face à face, Younès un jeune nigérien et Rose une psychologue – elle est, avec ses enfants, dans un de ces bateaux de croisière qui ressemblent à une HLM – lui sur une embarcation de fortune en perdition qui est recueillie en pleine nuit.
Le contraste entre le monde surfait des croisières – casinos, piscines, labyrinthe des couloirs où l’on se perd, consommation effrénée, personnel sous-payé…- et ce que l’on peut entrevoir de la misère et du dénuement des naufragés, crée un choc qui remet en question la relative tranquillité d’esprit de Rose. Elle ne sait pas quoi faire et la seule chose qu’elle trouve c’est de donner le portable de son fils à celui dont elle ne sait même pas comment il s’appelle.
L’image de Younès va la poursuivre quand elle retourne en France, et là aussi les problèmes qui sont les siens , un mari porté sur l’alcool, un ado avec ses secrets, une gamine qui est la souffre-douleur de ses petites copines, un déménagement qui va conduire tout ce petit monde à quitter Paris pour s’installer au Pays basque et ses préoccupations de bobo écolo font un contrepoids comique avec l’intérêt qu’elle porte à Younès – de temps en temps, le portable envoie des signaux difficiles à interpréter. Elle cherche à retrouver Younès à Paris, mais quand elle le voit, elle a peur d’aller vers lui
et de se faire agresser par les autres migrants. Et bien sûr, le cas de Rose est emblématique des réactions que nous pouvons avoir à l’égard des migrants, notre vie continue, nous continuons à nous poser des questions de riches, nous les voyons sans les voir, ils nous gênent parce qu’ils nous renvoient une image de notre égoïsme, parce qu’ils sont la preuve survivante des responsabilités du monde occidentale dans la misère qui est la leur.
Rose va vouloir aller plus loin et elle répond à l’appel au secours de Younès qui est blessé, à Calais. Elle part le chercher. Et ce qu’elle découvre est encore plus lourd que ce qu’elle pouvait imaginer. Les pages que Marie Darrieussecq écrit sur la jungle de Calais sont parmi les plus fortes. Elle le ramène chez elle et l’aide à se reconstruire. Deux mondes encore qui ont tellement de peine à se comprendre. Le dévouement de Rose n’est qu’une solution ponctuelle – qu’est-ce qu’elle en attend ? une reconnaissance ? est-ce pour lui ou pour elle qu’elle en fait tellement que les siens ne la comprennent pas toujours ? elle évolue, c’est sûr, au cours de cette histoire – la psychologue qu’elle est se découvre des talents de guérisseuse plus efficaces que ce qu’elle a pratiqué jusque là – , mais elle échoue à garder Younès auprès d’elle ; il rêve d’Angleterre et il faudra bien qu’elle l’aide à réaliser ce rêve..
L’approche de Marie Darrieussecq est originale qui essaie de montrer les difficultés qu’il y a à aider autrui – cet être là qui souffre – quand il vit dans un autre monde que le nôtre, que ses références ne sont pas les nôtres. Il n’y a pas de réponse politique à ce problème. Rose se débat, elle tâtonne, elle bricole, elle est pleine de bonne volonté – elle voudrait que Younès soit sensible à la beauté des paysages français et ce n’est pas sûr qu’il le soit – en fait le seul contact possible passe par le corps, par ce fluide qui sort de Rosa et qui apaise la douleur de Younès.
Et qu’elle arrive à faire rire de la maladresse de Rosa et des contradictions dans lesquelles elle se débat n’est pas un des moindres mérites de ce livre.

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