r e n c o n t r e a v e c
Julien Bisson
rédacteur en chef de la revue America
America, America
La belle aventure d’« America » se poursuit avec ce onzième numéro de la revue dont la parution devrait s’arrêter à la fin de la présidence de Donald Trump. C’est bien la seule raison pour laquelle on souhaiterait presque la réélection du pantin péroxydé… Dans le dernier numéro de cette excellente et très belle revue, vous pourrez découvrir, entre beaucoup d’autres choses, le grand entretien que Joyce Carol Oates a accordé à François Busnel ainsi qu’une nouvelle inédite de Toni Morrison, décédée il y a deux mois, et marraine d’America. Le rédacteur en chef Julien Bisson nous raconte comment ils ont déniché cette pépite.
Comment avez-vous obtenu cette nouvelle de Toni Morrison ?
Au moment de sa disparition, nous avons voulu lui rendre hommage avec un texte inédit, puissant, emblématique de son œuvre. Nous nous sommes tournés du côté des essais, et en cherchant dans sa bibliographie, nous sommes tombés sur cette nouvelle, la seule qu’elle ait jamais publiée. Elle avait paru en 1983 dans un recueil réunissant des auteurs afro-américains.
En quoi ce texte est-il emblématique de son œuvre ?
A l’époque, il avait fait beaucoup parler de lui aux Etats-Unis. Car cette histoire d’une grande subtilité met en scène deux femmes dont nous savons que l’une est blanche l’autre noire, mais nous ignorons laquelle est blanche et laquelle est noire. Est-ce si important de le savoir ? On retrouve cette interrogation sur la construction des stéréotypes, sur notre conception de la couleur de peaux chères à Toni Morrison. Cette nouvelle a été beaucoup commentée, car certains lui reprochèrent de ne pas défendre la fierté d’être noire. Accusation qu’elle réfutait en affirmant qu’il fallait voir au-delà des couleurs. Cette question reste essentielle aujourd’hui. C’est incroyable que ce texte n’ait jamais paru en France. En deux semaines, nous l’avons trouvé, fait traduire par Christine Laferrière et illustrer par Myles Hyman. Illustrations qui montrent toute l’ambiguïté de ce récit.
Elle était la marraine d’América. En quoi cela consistait-il ?
Lorsque nous avons eu l’idée d’America, le premier nom sur lequel nous nous sommes mis d’accord François Busnel et moi, c’est Toni Morrison. C’est le premier coup de fil que nous avons passé. Elle a dit oui et ce fut aussi le premier grand entretien de la revue. Elle nous a ouvert les portes, permis d’accéder à d’autres écrivains et fut la figure bienveillante de notre projet.
Et voilà que votre revue a traversé l’Atlantique et qu’on l’a même vue dans des séries télévisées.
Sa parution dans « Orange is the new black » fut une totale surprise. Ils ont choisi le numéro sur les femmes que nous apercevons entre les murs de la prison. C’est un lecteur qui nous a prévenus. Quant à « La servante écarlate », les producteurs nous ont demandé une version spéciale et nous leur avons envoyé plusieurs couvertures. Et l’été prochain, les Américains éditeront une anthologie de textes que nous avons publiés.
Propos recueillis par Pascale Frey