L’incipit « Tout juste le récit achevé, Adelphe Delalande sort la blague à tabac de la poche de son gilet et bourre sa pipe avec méthode. » dévoile une beauté littéraire hors norme. L’écriture est scintillante. Ciselée, calme, elle est un levier. A elle seule, elle emporte le lecteur vers l’horizon verbal d’un majeur qui ne se nomme pas. Isabelle Flaten est discrète. Effacée dans cette offrande grammaticale où l’humilité semble des fleurs dans un champ, trop fragiles pour être cueillies. Il suffit d’admirer la courbe du mot, l’histoire qui va advenir pour être comblé.
En cela « Adelphe » est une opportunité rare. L’histoire est celle d’un pasteur, Adelphe, torturé, en prise avec des tourments existentialistes. Avec en toile de fond ce désir de vivre à l’ instar d’un hédoniste, de prier sur les courbes du monde. Il est le point de gravitation de ce récit. La trame, les faits et le ton qui reflète le culte. Adelphe est en proie au doute. Dans cet âge où vacillent les certitudes, la quiétude. C’est un homme courbé tel le roseau vers l’abîme d’une vie, en quête de vigueur et d’amour. Le fil rouge du récit est « Nêne » d’Ernest Pérochon, emblème sociologique d’une époque où le féminisme était tabou. L’auteure puise l’idée avant le mot. « Blanche se lève en le remerciant encore une fois et constate qu’en fin de compte, cette histoire c’est comme elle et lui. La porte claque. Adelphe ne veut plus rien savoir. Plus ce soir. » Nêne va semer le trouble. Egarer les brebis. Les femmes de ce récit vont s’affranchir. Tourner le dos aux torpeurs d’un bovarysme. S’éveiller dans l’aura alphabétique de la littérature. Ne plus craindre les foudres de Dieu. Ces femmes paraboliques sont l’éveil d’un féminisme qui écarquille les yeux sur la légèreté des possibilités. L’être et l’avoir vont devenir des jeux d’enfants. Adelphe est pris au piège. Il ne sait plus. Il affronte peu à peu ses démons, et se prend à les aimer. « Son attitude est condamnable, il n’aurait pas dû céder aux caprices de la chair, et pourtant il ne le regrette pas. »
Ce récit est une carte postale d’un siècle passé, qui reste accrochée au mémoriel, à la dentelle furtive, aux lèvres magnifiées de ces femmes, aux rides d’un Adelphe qu’on aime d’un seul coup de toutes ses forces. Ce récit en noir et blanc est salvateur, olympien. Il se mérite. Il faut le lire doucement, dans le silence. Etre attentif au moindre sursaut. Etreindre cette plénitude naissante, d’une histoire romantique et sentimentale. Publié par Les Editions Le Nouvel Attila, c’est un livre qui fait du bien, un futur grand classique.