l e c r i t i q u e i n v i t é
Jean-Claude Vantroyen (Le Soir de Bruxelles) a choisi «Un père sans enfant» de Denis Rossano, chez Allary Éditions
Le réalisateur Douglas Sirk souffrait d’une blessure: son fils, qu’il n’a jamais plus revu depuis ses trois ans. Denis Rossano a écrit un roman sur cette absence. Sans oublier d’utiliser les faux semblants, les trompe-l’œil, les miroirs et les mirages du mélo.
Un roman vraiment? Denis Rossano nous fait plutôt le récit de ses recherches biographiques, de la vision des films, de ses entretiens personnels avec le réalisateur américain à Lugano, en Suisse, où il avait pris sa retraite avant de mourir en 1987. L’auteur se raconte, en fait. Il est le narrateur et le héros de ce livre, à la recherche de Douglas Sirk et de ses rapports avec son fils.
Mais Rossano nous bluffe. Comme le réalisateur dans ses pellicules : s’il a bien accumulé des recherches sur le cinéaste, il ne l’a jamais rencontré. Les pages d’entretiens sont purement imaginées. Sur base évidemment des rares interviews accordées par Sirk et des informations que ces recherches lui avaient permis de connaître de l’homme. Un faux semblant auquel on croit. Comme on croit aux films de Sirk, ces flamboyants et hallucinés mélodrames que sont « Ecrit sur du vent », « Mirage de la vie », « Le temps d’aimer et le temps de mourir », « Le secret magnifique », etc, malgré leur invraisemblance, leur imitation parfois peu réaliste de la vie, sans doute à cause des larmes qu’ils font jaillir, de l’envoûtement qu’ils suscitent.
Douglas Sirk était né Detlef Sierck au Danemark en 1900. Il débute sa carrière en Allemagne. Théâtre puis cinéma. Il épouse une actrice allemande, qui lui donne un fils, Klaus. Mais cette femme devint une fanatique nazie, ce que réprouvait Detlef. Ils divorcent en 1928. Klaus avait trois ans. Detlef ne le vit plus jamais.
Outre cette absence, il dut aussi souffrir le destin de Klaus. Poussé par sa mère, Klaus devint un enfant star du cinéma du Troisième Reich. Detlef Sierck devenu Douglas Sirk avait quitté l’Allemagne en 1938 pour gagner les Etats-Unis par horreur pour les Nazis. Et parce que sa nouvelle compagne, avec qui il allait vivre le reste de sa vie, était juive. L’enfant star, lui, enchaîna les films de propagande avant d’être abandonné par le pouvoir et de mourir sur le front de l’Est, en Ukraine, en 1944. Douglas Sirk n’eut jamais aucun contact avec lui.
Ce manque, cette blessure, Denis Rossano l’autopsie avec beaucoup d’acuité et de talent. Il nous montre que, comme il dit, « le personnage du fils hante le cinéma de Sirk ». Et il nous offre en plus le plaisir de mieux connaître ce cinéaste et de mieux comprendre ses films. On est impatient de les revoir. J-C.V
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