Dans ce magnifique récit autobiographique, Michaël Ferrier, fils de militaire, raconte son enfance au Tchad, à N’Djamena où il coule des jours insouciants, une vie d’initiation, de découvertes et d’amitiés avant que la guerre n’y mette un terme en février 1979. L’auteur se souvient du petit garçon à l’existence libre et riche au « berceau de l’humanité », pays devenu indépendant où les troupes françaises assurent cependant la sécurité menacée par les troubles entre peuples du nord et ceux du sud. Michaël Ferrier a dix ans en 1977, il habite avec ses parents et son frère aîné une maison dotée d’une grande cour, une case pour le gardien, animée la journée par les serviteurs, les commerçants de passage et les animaux, véritable cœur du quotidien dont l’enfant ne perd pas une miette. « J’eus une enfance de poussière et de vent », dit-il par ailleurs, les sens grands ouverts sur la nature, la faune et la flore, le fleuve Chari, les insectes, les étals du marché, les bruits, les couleurs, les odeurs, l’expérience de l’école mixte où Blancs et autochtones, garçons et filles se mélangent. Ses deux meilleurs copains sont des enfants bergers qui lui enseignent leurs jeux, leurs savoirs, et partagent leurs secrets. A N’Djamena, c’est dehors qu’il se sent bien, avalant l’espace pieds nus, penché vers le sol, se perdant dans les ruelles, s’aventurant dans les quartiers interdits, épiant les filles de la nuit au carrefour voisin. A cette époque il se met aussi à dévorer les livres, Jules Verne en particulier, et apprend à jouer de la flûte et du balafon. La musique est partout, dans la rue et sur la piste, avant que le bruit de la mitraille et le sang ne la remplacent.
Genèse d’un auteur qui a appris que les lettres formaient des mots le protégeant de la violence extérieure, comme il l’éprouvera plus tard à Fukushima, « Scrabble » ravive l’expérience de l’enfance par le biais d’une écriture sensible et élégante qui retrouve le temps perdu. Un régal de récit qui tient la mort à distance en s’appropriant la beauté du monde.