Emouvant, sensible, digne d’un génie évident, « Crève la fin » est un récit essentiel, grave. L’incipit « Inquiet d’une naissance, que l’on disant négligeable, je m’étais recherché jusque dans la conception de mon innocent embryon. » enclenche une histoire tourmentée, caustique, crissures sur une vitre givrée. Le style est époustouflant. Habitué à la valse grammaticale, aux notes relevées soyeuses d’un verbe qui se lie à la lumière sans crainte aucune. L’aérienne fusion avec les faits, les rebondissements, bien plus qu’un alliage dont on observe la naissance subrepticement « Crève la fin » est un récit sombre dont la beauté se love dans les courbes, les dires, ce ciselé qui annonce un pictural déchiré par un cutter gorgé de doutes. Nous sommes en plongée directe dans un thriller psychologique, une tragédie en trois temps. « -Quels sont vos peintres préférés, alors ? -Sautine, Menessier, Bacon, ceux qui vont plus loin que les autres, qui se dépossèdent de leur âme, je les adore… » Julien, le narrateur, est un peintre. Fragile, décalé, envoûté par la mort, ses toiles sont des lambeaux de son âme torturée. Kaléidoscope de toutes les angoisses des peintres dont les toiles sont des exutoires. Des corbeaux dans un champ où l’imaginaire croasse à en déchirer les parois d’un ciel apocalyptique. « Nomade migrateur, attifé clodo, accoutré de mes hardes fanées, j’arriverais par la rue de Turenne. A chaque pas, je me demandais ce que je fichais là, avec mes deux croûtes sous chaque bras. » Julien va tomber insidieusement dans un piège. L’histoire enfle, charrie telle une boue malsaine, les fragilités de Julien, ses névroses, ses obsessions ténébreuses. Enfermé dans ses psychoses, il va devenir une proie pour les autres, un mobile de destruction mentale. « Aujourd’hui, je suis certaine que tous les lexiques du monde, ne suffiraient pas à m’offrir les mots que je cherche pour exprimer mon dedans clandestin. -Toi aussi, t’es bouclée dans ce grand bazar ? Ce parc d’attraction pour âmes en vrilles. Dommage les murs…. » Julien est pris dans une embuscade. L’histoire est glaçante, bouleversante. Manichéenne, elle déforme ce spectral et encense l’humanité de cet homme ravagé. Ce Diogène des temps modernes dont on aime les traits déformés par cette folie sournoise et implacable. « J’aime bien ce final parce que je suis fou de folie, dont la mienne et qu’elle me fait décoller dans des univers qui me rassurent. Même si je ne parviens plus me déterminer, je sais que j’existe. Dans le peu qui fait de moi quelqu’un, même d’approximatif. » Ce récit ploie sous la gravité d’une rare contemporanéité. Elle peut déranger, faire peur à en perdre le souffle. C’est dans cette double lecture que « Crève la fin » s’élève. Les manipulations, les mensonges, les diktats d’un enfermement parabolique sont décriés. Les femmes sont machiavéliques. Sous des allures de soignantes, de maîtresses femmes, elles sont des monstres. « Elles cherchent des preuves contre toi, pour que le directeur te garde ici ! « Mature, le pictural de Jack Boland dévore les conséquences, foudroie les apparences. « Tout à l’heure, j’irai dans le parc, ce lieu salvateur est devenu nécessaire à ma survie. Il y aura aussi Xéno. – Tiens ! salut ! Je lui dirai ça au jardinier. On parlera des jardins de mousse du Japon, des sequoias d’Amérique, aussi de cet imago de sphinx qui dort sous la branche d’un aulne, on parlera de trucs à nous, nous aurons des respirations. » C’est ici le point d’arrêt. L’instant de clarté, le bruissement d’une plénitude qui ne demande qu’à éclore. La vie qui survient. Un tableau de maître en devenir, un espoir. Que va-t-il se passer ? L’instant de vérité est à portée de vue. Jack Boland sait peindre. L’art en son summum épuré, la justesse, la finesse subtile et délicate. Les torpeurs et les doutes, les trahisons, les gouffres des différences, les rejets d’autrui. Il emblématise la vie en rouge sang, bleu nuit, en larmes et en craintes. L’inaltérable dévore les parois de ses inspirations en paroxysme de sincérité. « Autoportrait aux yeux bleus » « A vendre- Vingt-deux décembre. » « Crier la fin » est une métaphore puissante et bénéfique. La folie, un abîme. La lucidité est criante. L’intelligence en posture d’un garde-à-vous légitime. « Crève la fin » est une satire, une tragédie inoubliable. Un récit dont on ne sort pas indemne. Une pure merveille à déposer dans les musées paraboliques. (A noter une première de couverture peinte par l’auteur lui-même en autoportrait subjectif »