Je crois que cette fin d’année est placée pour moi sous le signe de l’affût. Non que je passe mes journées dans les cabanes en bois perchées dans les arbres qu’on voit par ici en forêt d’Andaines (et à mon avis, elles sont, hélas, plutôt destinées à cacher les chasseurs très actifs dans la région) mais parce qu’après le magnifique roman de Claudie Hunzinger : Les grands cerfs, me voilà partie au Tibet avec Tesson, un photographe animalier nommé Munier, Marie, sa compagne, et un philosophe, Léo de son prénom.
Bavarde comme je suis, je ne pense pas être une partenaire idéale pour l’affût. Et pour tout vous dire, Tesson ne devait pas l’être non plus ! En tout cas, il se présente un peu, dans cette expédition hors normes, et avec son sens de la dérision qui le caractérise, comme un « boulet » : en effet, il ne peut rien porter à cause d’une colonne vertébrale trop fragile, ne voit pas grand-chose et n’arrête pas de causer. Les trois autres lui répondent à peine d’ailleurs. Et notre Tesson philosophe, le Tao-tö-king en main, fait des bons mots, s’interroge, questionne et les heures passent. À moins trente degrés (moins dix à l’intérieur), il faut avoir des réserves intellectuelles hors normes pour survivre. Et attendre…
Alors, tout ce petit monde part se balader au Tibet, à 4000 mètres d’altitude afin d’observer … (roulements de tambour)… la panthère des neiges… Bon, allez, je spoile un peu : oui, ils la verront mais ils observeront aussi d’autres splendeurs : yacks, ânes sauvages, loups, antilopes, lynx, gypaètes, pikas… Et toutes ces bébêtes, eh bien, il vaut mieux les voir maintenant, car d’après les naturalistes les plus optimistes, la faune disparaît tellement vite qu’il n’en restera bientôt plus aucun spécimen. Quand je pense que chez nous…. à l’heure où je vous parle, les merles pullulent dans mon pommier, profitant des derniers fruits gorgés de sucre… Je crois que je ferais mieux de les admirer plutôt que d’avoir la tête baissée vers mon clavier. Il faudra que je relise La panthère des neiges pour acquérir plus de sagesse…
Revenons à nos aventuriers : le Munier n’est pas bavard, c’est un taiseux. Il voit tout, dit aux autres où tourner la tête, photographie, nomme ce qu’il voit dans son télescope (en latin de préférence), lui dont le rêve aurait été d’être invisible, à une époque où tout le monde veut se montrer (un sage, Munier !) D’ailleurs, on sent notre Tesson fasciné par cet homme qu’il nomme toujours par son nom de famille. Et c’est vrai qu’il est impressionnant, le Munier.
Son amie Marie l’admire tout autant. Quant à Léo, il écoute avec patience les analyses percutantes de notre Tesson national, y répond à demi-mot, s’il a le temps. Bref, pas de longs échanges, peu de discours direct.
Trente-huit courts chapitres se font l’écho des réflexions de Tesson : les bêtes sont pure beauté et nous passons sur cette terre sans rien voir parce qu’on ne sait plus regarder au-delà de notre nombril et de notre smartphone. (juste!) Notre agitation perpétuelle, notre recherche de divertissement (au sens pascalien du terme) nous coupent du monde, nous empêchent de voir, de penser, d’être : « Au « tout, tout de suite » de l’épilepsie moderne, s’opposait le « sans doute, rien, jamais » de l’affût. » Mieux vaut la philosophie orientale du non-agir, de la contemplation. En effet, huit heures d’affût permettent de se poser, d’admirer, d’aimer et pour Tesson, de faire le bilan de notre société moderne, génialement résumée en deux mots : « embouteillages et obésité », les deux étant plus ou moins liés d’ailleurs ! A cela s’ajoute la destruction aveugle et systématique (et consciente, ce qui fait de l’homme un être tragique) de tout ou à peu près tout ce qui nous entoure : terre, mer, faune, flore… etc, etc. On attend d’être « augmenté » pour être plus fort, plus tard, alors que la vie est maintenant, là, sous nos yeux. « Il est plus difficile de vénérer ce dont on jouit déjà que de rêvasser à décrocher les lunes. »
Certaines pages, très belles et très touchantes, sont consacrées à l’amie d’avant et à la mère que Tesson semble rechercher (et retrouver) dans les apparitions merveilleuses de la panthère.
Oui, ce texte est un délice : on y voyage, on y découvre la beauté et l’on y pense. Tesson est sans nul doute un voyageur, un poète et un homme d’esprit.
Son seul défaut peut-être (et pour l’affût seulement!) : il est bavard mais n’est-ce pas le fait des hommes de bonne compagnie ?
Pour accompagner ce livre et poursuivre la contemplation de ces lieux magiques et de cette faune fascinante, je vous conseille le FABULEUX livre de photos du non moins FABULEUX Munier, accompagné des textes poétiques de notre Tesson, pardon, de notre FABULEUX Tesson.
Certainement le plus beau des cadeaux pour Noël… (C’est clair pour tout le monde, hein, la famille???)
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