« Raconter un rêve c’est l’imaginer autant que s’en souvenir. C’est transformer la sensation en récit. Au strict sens de l’expression, c’est faire des histoires. » Des histoires, le narrateur de « La loi du rêveur » en a plein la tête, quand il affirme par exemple à son ami Louis, la veille d’un départ en vacances, que « la lumière c’est de l’eau » après avoir provoqué une « inondation de lumière » homérique dans l’un de ses rêves. Est-ce parce qu’il s’endort chaque nuit sous un dessin encadré de Federico Fellini, grand rêveur de l’Eternel qui avait pour habitude de dessiner les chimères de la nuit à son réveil, que le garçonnet accorde une place particulière aux songes, au point souvent de mêler rêve et réalité ?
« Mon pote est un rêveur génial. Quand nous serons grands, il sera écrivain. » Louis ne pensait pas si bien dire. Les années ont passé, les enfants ont à leur tour eu des enfants et une joyeuse tribu entoure un narrateur devenu écrivain qui oublie tous les détails pratiques de son quotidien (anniversaires, numéros de téléphone, rendez-vous, codes d’accès, etc.) mais se souvient avec une acuité intacte de ses songes. « Amnésique de naissance, je fais des rêves inoxydables. » Des rêves à l’origine de la matière de ses romans, comme ceux de Fellini l’étaient dans son travail de cinéaste. C’est d’ailleurs un 20 janvier, date de naissance du réalisateur italien, et pendant la projection de son chef d’œuvre, « Amarcord », que notre écrivain passe à deux doigts de la catastrophe pour avoir voulu changer l’ampoule grillée du vidéoprojecteur. Une chute d’escabeau, et c’est toute sa vie qui défile. L’ironie du sort voulant qu’« Amarcord » signifie « je me souviens » en dialecte romagnol.
La « loi du rêveur », c’est d’abord celle du méandre et de la toute-puissance de l’imagination. Si les esprits cartésiens qualifieront ce récit de foutraque ou de mystificateur, l’immense majorité des rêveurs saisiront la main tendue par le narrateur et son ami Louis (le double du désormais célèbre Kamo) pour un aller simple vers le merveilleux, entre plongée au cœur d’un village englouti par les eaux lors de la construction d’un barrage et célébration de l’enfance, de l’amitié, de la famille faite « tribu » et de l’inépuisable foisonnement de l’imaginaire. Hommage à la figure millénaire du conteur comme au travail de Fellini, dont Pennac est un très grand admirateur, « La loi du rêveur » séduit par sa spontanéité, son entrain communicatif et ses nombreux clins d’œil à l’œuvre de l’auteur des Malaussène. Entremêlant souvenirs personnels et pure invention, Pennac célèbre cette fonction vitale (im)matérialisée par le rêve et le temps que nous sommes prêts, dans nos quotidiens débordés, à lui accorder. Et vous, depuis quand n’avez-vous pas pris le temps de rêver ?