C’était bien avant Amazon, shopping sur smartphone et révolution numérique. Excusez du peu… en 1924, l’empire Félix Potin ne comptait pas moins de 10 usines, 5 chais, 600 concessionnaires, 70 succursales, 5000 clients épiciers, 650 chevaux et 80 automobiles. La commande était envoyée par pigeon voyageur, ou par courrier, et la marchandise livrée à cheval ou triporteur. Tout était déjà en place chez ce pionnier de l’épicerie, ce « Napoléon de la cassonade » comme l’écrivait Adolphe Brisson en 1896 dans « Le Temps ».
D’Arpajon à Paris, de la petite boutique rue Rodier au grand bâtiment du boulevard Sébastopol, voici l’histoire et surtout le destin du jeune Félix, formidable entrepreneur, shérif de l’industrie gourmande qui gère la chaîne de production du cultivateur au consommateur. Pratiquant le bon goût, le patron s’associe même à Nadar dont on peut alors collectionner les photos rangées dans les tablettes de chocolat Potin. Esprit de famille, absence de banquier dans la place mais participation des employés aux bénéfices, tout va bien dans le joli monde des succursales jusqu’au jour où le krach de 29 vient rebattre les cartes, avant la guerre puis l’arrivée du discount. De changements en démembrements, l’empire Potin disparaîtra en 1995, rongé par les dettes.
Mais on retient surtout de cette histoire – finement racontée par Mathieu Mercuriali et Giulio Zucchini- l’intelligence d’un créateur et ses descendants, femmes de poigne et inventeurs incessants. Entre le western spaghetti et le feuilleton de la bonne chair, « Qui a tué Félix Potin » s’accompagne de photos, dessins et graphiques irrésistibles et truffés d’humour. Comme ce défilé des bouchers en tenue, posant avec une grâce bien à eux devant leurs magasins, mains sur les hanches et tabliers rougis.