Voici un roman subtil et intimiste, peut-être l’un des plus intimes de Fanny Chiarello. Avec un dispositif narratif original, alternant le « je » de l’auteure elle-même et le « tu », adresse à une inconnue, l’histoire fait coexister identité et altérité, réalité et fiction, distanciation et effet de miroir.
Dans le cadre d’un projet d’exposition photographique sur le bassin minier du nord de la France, Fanny Chiarello photographie à son insu une adolescente courant dans un parc. Après enquête, elle découvre son nom et son adresse. Cherchant en vain à croiser de nouveau la jeune fille, elle en fait un personnage en partie imaginaire. C’est ainsi que naît sous sa plume Sarah Benarif, dix-sept ans, homosexuelle, en conflit avec ses parents qui voient d’un mauvais œil son amitié pour une jeune mère célibataire, ses fréquentations et son comportement qui déborde du cadre normatif et moral. Incomprise et traquée par sa mère qui la soupçonne de déviance, Sarah cache son être intime et souffre de solitude. Comment s’affirmer à l’adolescence dans une société hétéronormée à l’ère de la transparence ? Fanny Chiarello se rapproche de son héroïne pour lui exprimer son empathie, tout en l’encourageant dans ses tentatives d’émancipation. L’auteure se projette ainsi dans son personnage, l’animant de ses propres désirs et expériences, faisant par moments de cette inconnue son alter ego, allant jusqu’à franchir la frontière de l’imaginaire pour la rejoindre. Fanny/Sarah, même personnage ? Non, car la seconde existe bel et bien ; mais parce que l’éventualité d’une vraie rencontre pourrait se révéler frustrante, Fanny Chiarello construit sa propre Sarah, personnage en devenir, ni double ni amie imaginaire, mais autre et différente, qui s’échappe aussi de la réalité par l’écriture romanesque. Tout comme elle, l’auteure devra se résoudre à sortir de sa propre fiction pour laisser advenir la possibilité et le risque de l’incarnation, celui de la vie et de la liberté.
