Si dans le ciel du thriller psychologique, l’étoile des reines anglaises du crime « old school » a pâli, celle d’Armel Job brille toujours du même éclat dans son coin de ciel wallon. Vingt ans que cet ancien prof de latin-grec, ex-directeur d’une école catholique, diplômé en philosophie et philologie, membre de l’Académie des lettres de Belgique, publie année après année ses textes finement ciselés. Des intrigues où des êtres, des couples, des familles étouffent sous le poids du non-dit, du mensonge, du secret. Et dont les masques tombent un jour à l’épreuve d’un drame. A 71 ans, ce digne héritier de Simenon nous régale d’une vingtième fiction qui illustre l’originalité paradoxale de son œuvre : c’est son classicisme qui en fait un auteur à part, une voix dissonante. Cette langue choisie, ces mots précis, cette ironie amère qui colore les monologues intérieurs, cette violence rentrée qui anime les échanges. « La disparue de l’île Monsin » est une écorchée vive, marginale dans sa famille, accablée par un traumatisme ancien. Le dernier homme qui l’ait croisée, une nuit, sur un pont, avoue n’avoir pas su l’aider. Un jeune policier cassant en fait son principal suspect d’un meurtre restant à prouver. Autour de ce triangle de base, l’auteur fait graviter une mère qui a perdu pied, une épouse qui fait front, un commissaire qui s’esquive, puis un autre cercle encore de parents et de témoins. Plus le silence de la disparue se fait lourd, plus l’aura de chacun se teinte d’un gris plus ou moins sombre. L’un dévoile sa vanité, l’autre sa jalousie, le gentil voisin et le brave père de famille ont forcément des comptes à rendre. Armel Job décrit des existences enclavées, des accomplissements modestes, dans l’ombre des riches voisins qui font rêver, le Luxembourg et l’Allemagne, loin d’une capitale qui semble étrangère. Il distille de légers parfums de belgitude, ici un bock de Jupiler, là un déjeuner avec le bourgmestre, marques de son authenticité, refus des standards. Dans cette atmosphère chabrolienne, l’air de ne pas y toucher, l’auteur fait monter la tension, épaissit les caractères, malmène les préjugés masculins et flatte l‘audace féminine. Avec, toujours, cette justesse des sentiments et des gestes. Une littérature en dehors des modes, et d’autant plus précieuse.