La fille de l’Espagnole, Karina Sainz Borgo, traduit de l’espagnol (Venezuela) par Stéphanie Decante, Gallimard, « Du monde entier », 3 janvier 2020, 240 p.
La journaliste vénézuélienne Karina Sainz Borgo, résidant en Espagne, publie un premier roman sur son pays natal où la crise politique et l’effondrement économique ont engendré la violence généralisée et la corruption. Entre réalité et dystopie, son héroïne se meut dans un univers où le chacun pour soi est devenu le maître mot de la survie.
Adelaida Falcon vient d’enterrer sa mère, morte d’un cancer à Caracas. La jeune femme, correctrice pour une maison d’édition étrangère, se sent désormais orpheline, avec pour seule famille deux tantes octogénaires habitant plus à l’ouest du pays. Peu après les obsèques qui ont englouti ses dernières économies, Adelaida découvre en rentrant chez elle qu’un groupe de miliciennes civiles s’est approprié son appartement. En colère et désemparée, elle tente de se réfugier chez sa voisine, Aurora Peralta, fille d’immigrés espagnols, mais la trouve morte, étendue sur le sol. Sur une impulsion et sans mot dire, Adelaida se débarrasse du cadavre et, traquée par les pseudo-révolutionnaires qui l’ont dépouillée de tout, elle se cache chez feue sa voisine, célibataire aigrie férue de telenovelas. C’est alors que germe l’idée d’usurper son identité et sa vie ; en somme, la réinvention de soi comme échappatoire.
Avec un style incisif et une plume dynamique, Karina Sainz Borgo écrit une histoire haletante, alternant les chapitres au présent et ceux, plus mélancoliques, qui évoquent le passé d’Adelaida alors que son pays était encore vivable. Aujourd’hui, la force brutale est la forme de fonctionnement de la société : persécutions par l’armée, disparitions, marché noir alimenté par un gouvernement délinquant… Le roman se lit d’une traite, effrayant par la violence qui fait de chaque jour un combat, passionnant par le projet fou de l’héroïne. Entre fiction, réalité et témoignage, ce roman porte un regard désespéré sur un pays qui a sombré dans le chaos après une enfance dorée, et que l’ancienne classe moyenne cherche à fuir à tout prix.
