La collection « La rencontre » d’Arlea (une histoire qui nous appartient) ne pouvait qu’accueillir ce témoignage de la fille de Georges Wolinski. « Je suis née, bien avant ma naissance, dans l’oasis de tes dessins. J’ai grandi dans tes jardins secrets, dans les rêves de ta jeunesse (…) » Avec ces phrases, toutes simples, Natacha démarre ce court texte qui dit, pudiquement, l’absence de ce père tué lors des attentats de Charlie-Hebdo. Plus que d’évoquer la sidération ou le chagrin, il est question de retrouver ce père, d’interroger – aussi – le sens de ce deuil confisqué par une appropriation nationale envers toutes les victimes de Charlie. D’écrire, encore et encore, le mot « mort » : verbaliser à l’infini pour se convaincre de sa réalité.
« Tu compensais tes maladresses et tes stupeurs par des farces tendres », se souvient Natacha. Une phrase sur l’enfance du père en Tunisie, un paragraphe sur une incompréhension mutuelle, un souvenir de dessin, l’éloignement…comment raconter cette filiation, à nulle autre pareille au regard de la tragédie, sans être dans l’impudeur. « Un attentat a eu lieu…on est sans nouvelles de papa (…) j’ai attendu le deuxième appel de Kika « Papa est mort » (…) ». Pour Natacha, il faut revenir de Singapour, se confronter à la réalité tragique de cette disparition et re-tricoter sa relation au grand Georges. « Sur terre comme au ciel, je veux croire que nous lançons les mêmes osselets sur l’échiquier des jours sans fin et que nous écrivons d’un même élan le même poème intranquille. »
Poétique, sensible, resserré (on imagine sans peine Natacha Wolinski biffer une phrase, un paragraphe, remettre au fond d’un tiroir ce journal intime du deuil de père, y revenir après quelques mois…), ce court texte offre un autre visage du dessinateur, lui-même orphelin de père très jeune. « On ne t’avait pas légué les mots pour couvrir le bruit des grandes déflagrations (…) ».