Ce livre de l’auteure des « Derniers jours de Smokey Nelson » (2012) se situe entre le roman d’espionnage, le roman d’enfermement et la métafiction. La figure clé en est Anne Frank, qui depuis toujours fascine Anna, agent secret. Tous les ans, cette dernière effectue un pèlerinage à l’Annexe, la cachette d’Amsterdam ayant abrité la famille juive entre 1942 et 1944, et dont une bibliothèque pivotante constituait l’entrée. En juillet 2015, l’espionne y fait une énième visite lorsqu’elle se sent suivie. Son intuition est juste, elle reçoit des instructions pour son exfiltration imminente et se retrouve quelques jours plus tard dans la chambre d’un appartement de protection dont on lui cache l’emplacement géographique. Le lieu abrite sept autres agents, une communauté régentée par un intendant d’origine cubaine haut en couleurs et féru de littérature comme notre héroïne. Lectrice passionnée, Anna passe en effet le monde et ses énigmes au tamis de la littérature pour les décrypter. Les autres membres du groupe gardant l’incognito et le silence sur les raisons de leur présence, Anna les identifie ainsi à des personnages romanesques comme Meursault, Samsa, ou à des auteurs, tel ce vieux couple d’origine slave qu’elle baptise « les Tourgueniev ». Au fil des semaines, une routine s’installe dans la maison aux espions, entre lecture, sport et dîners mondains : une prison dorée le temps de se faire oublier. Mais le huis clos devient pesant, d’autant que les méfiances s’aiguisent et que la mort attend son heure… Anna pense beaucoup à Anne Frank, mais alors que la jeune fille est devenue écrivaine parce qu’enfermée, Anna s’enferme dans des mondes imaginaires et abandonne sa prudence légendaire.
Dans ce thriller littéraire jouissif, véritable ode à la littérature, la claustration est à la fois salvatrice et menaçante. Il s’agit de ne pas se laisser endormir par Shéhérazade, ni piéger par un certain bovarysme. A la manière d’une Alice au pays des espions, Anna devra reconnaître ses ennemis grâce à un subtil jeu littéraire, et habiter le monde non comme le personnage d’un narrateur malfaisant, mais comme l’auteure de sa propre vie.